Archives : 16 février 2018

Le mot du Président : du débat à l’action

Le congrès de Metz a chargé le bureau de l’élaboration d’un Livre Beige des juridictions financières, déclinant en mesures opérationnelles les orientations du Livre Blanc publié en juillet 2017.

Parce que les orientations qu’il a posées sont essentielles pour notre métier, le corps et les juridictions financières de premier ressort, notre ambition est de mener ce mandat à son terme. Cela conduit à s’inscrire dans le calendrier des réformes concernant les collectivités territoriales que le Gouvernement initie les unes après les autres. Il serait en effet illusoire de penser que nos missions et méthodes resteront à l’écart des nouveaux équilibres qui s’annoncent et détermineront les compétences des chambres régionales et territoriales des comptes. Il serait peu responsable que l’organisation représentant les magistrats de CRTC laisse à d’autres le détourage de ce que nos missions devraient être.

La concentration des ressorts et la centralisation des moyens instaurées par le législateur en 2011 doit s’adapter à une décentralisation confirmée mais dont les équilibres se déplacent rapidement. La clarification de l’organisation institutionnelle des juridictions et une organisation des missions administratives et juridictionnelles que l’échec de la réforme de 2009, les ajustements successifs de compétences et l’extension des ressorts ont rendu impalpables, sont devenues indispensables.

Des démarches sont en cours pour soumettre à l’étude nos premières propositions. Un jalon sera posé avec la consultation prochaine du conseil national convoqué le 6 mars prochain. Leur philosophie générale conforte le niveau régional de contrôle, qui a démontré son efficacité et que nous pensons efficient, en rééquilibrant les missions des chambres régionales. Après tout, l’exposé des motifs du défunt projet de loi « Séguin » portant réforme des juridictions financières soulignait bien « l’importance de la responsabilité des gestionnaires et de la mesure de leurs résultats » en posant la question des contrôles et de leur organisation, sujet sur lequel peu d’opinions divergentes se font aujourd’hui entendre.

C’est pourquoi nous partageons l’approche du ministre de l’Action et des comptes publics lorsqu’il déclare que « le but du jeu, c’est de revoir les missions de l’Etat. Il faut s’adapter à la vie des gens et redéfinir nos priorités (…). Notre réforme de la fonction publique ne procède pas d’une démarche comptable. Les moyens ne sont que les conséquences des missions de l’Etat que nous allons revoir, sous l’autorité du Premier ministre, dans le cadre d’Action Publique 2022 ».

Tel est le sens des objectifs poursuivis à un moment où il n’est plus concevable que des pans de l’exercice des pouvoirs locaux, de la dépense publique ou l’exercice de missions de service public puissent échapper à l’obligation de rendre compte. Telle est notre conception du contrôle des comptes publics locaux. Telle est l’approche que nous retenons d’une décentralisation adaptée « à la vie des gens ».

 

Yves ROQUELET

Président du Syndicat des juridictions financières unifié


Oui à la responsabilité des gestionnaires publics… mais aussi au niveau local !

 

 

 

L’audience solennelle de rentrée de la Cour des comptes, qui s’est tenue le 22 janvier, a été l’occasion pour le Président de la République d’exprimer sa conception des juridictions financières. Il a notamment souhaité « ouvrir une réflexion sur la responsabilité des ordonnateurs et l’évolution de la Cour de discipline budgétaire et financière » dès lors « qu’il n’y a pas d’action publique efficace s’il y a une dilution de la responsabilité ». Il partage ainsi la position du Premier président qui a déclaré que « le dispositif actuel de mise en jeu des responsabilités n’est pas adapté » et que la Cour de Discipline Budgétaire et Financière (CDBF) « doit pouvoir juger de la régularité des décisions au regard de la loi et garantir que nul ne peut s’exonérer de sa responsabilité en la matière ». Tous deux ont insisté sur le fait que l’ambition politique de restaurer la confiance dans la vie publique ne serait pas complète « sans la refondation – attendue de longue date – des mécanismes de responsabilité des gestionnaires ». Pour le Président de la République comme pour le Premier président, la « plus grande responsabilité au quotidien des actes de gestion » constitue le corolaire de « l’évolution du régime de responsabilité pour les ministres (…) avec une suppression de la Cour de justice de la République ».

Le Premier président a réitéré ce message quatre jours plus tard, lors de l’audience de rentrée de la CRC de Provence-Alpes-Côte-d’Azur le 26 janvier, en affirmant que « la première ambition poursuivie par les juridictions financières est celle du respect de la régularité et de la probité ».

Le Président de la République et le Premier président rejoignent le constat du SJFu selon lequel la responsabilité administrative et financière des gestionnaires publics pour des fautes de gestion graves ou répétées, demeure l’échelon manquant du système de régulation de la démocratie locale entre les recommandations de gestion déjà formulées par les juridictions financières, les observations définitives rendues publiques et la sanction pénale des dysfonctionnements les plus graves. Le chef de l’Etat a souligné que les citoyens ne comprenaient plus cette situation qui, « ces dernières décennies, a conduit, collectivement, à l’évolution de notre système en créant une forme d’irresponsabilité relative du quotidien, pour finir tous et toutes dans une forme de responsabilité pénale intenable, pour chacun. Ce système, si nous le laissons prospérer, conduira au triomphe des prudents, peut-être même des inefficaces, parce que ça n’est qu’une prime qu’à cela ».

Le SJFu se réjouit de cette dynamique convergente esquissée par le Président de la République, le Premier président et depuis longtemps par le Procureur général, mais seulement si elle tient compte du principe de subsidiarité et aboutit à renforcer les CRTC.

Cette nuance s’inscrit dans le sens de l’histoire. D’une part en raison de l’effacement du contrôle préfectoral de légalité qui accroît par contraste le rôle des CRTC dans la chaîne de contrôle de la gestion locale. D’autre part en miroir de la volonté du chef de l’Etat, réitérée lors de l’audience de rentrée, d’autoriser les collectivités territoriales à expérimenter des dispositifs réglementaires dérogatoires. Les CRTC sont au bon niveau pour contrôler l’émergence de cette spécialisation locale.

Cette cohérence est même cruciale pour l’avenir des juridictions financières et doit être replacée dans son contexte. L’expérimentation de la certification des comptes des hôpitaux puis des collectivités territoriales qui apparaît avoir pour seul but de justifier sa généralisation, d’une part ; la création du compte financier unique qui va inévitablement questionner à moyen terme la pérennité de la séparation ordonnateur / comptable et donc du jugement des comptes, d’autre part, posent une question existentielle : quel sera le positionnement institutionnel des CRTC dans dix ans ? des cabinets d’audits ou de commissaires aux comptes en concurrence avec les cabinets privés ? des contrôleurs de second rang se concentrant sur l’architecture du système, ainsi que l’entrevoit le Procureur général ? des sous-traitants de vastes évaluations pilotées par la Cour des comptes et contribuant à nourrir de plus en plus largement les publications de celle-ci ? ou des juridictions affermies dotées d’un pouvoir de sanction complémentaire du contrôle des comptes et de la gestion, c’est-à-dire d’un pouvoir réel et complet d’audit de l’emploi des fonds publics ? Le SJFu regrette l’absence de réflexion collective sur ces questions au sein des juridictions financières, alors que notre institution se trouve à la croisée des chemins.

Le Livre Blanc des juridictions financières, publié en juillet 2017, s’efforce de l’initier en mobilisant toute l’expertise et le recul des magistrats quotidiennement confrontés aux réalités de la République décentralisée. Le SJFu est attaché au statut de juridiction des CRTC, d’ailleurs imposé par les élus locaux en 1983, parce qu’il constitue la meilleure garantie d’indépendance, d’objectivité et donc de crédibilité pour les contrôlés comme pour les citoyens. Il croit également en la pertinence de l’échelon local du contrôle, bien adapté aux enjeux territoriaux des collectivités et entités contrôlées. Le Livre Blanc en tire les conséquences et promeut le renforcement du rôle des CRTC comme garants de la démocratie locale en proposant de leur conférer une capacité effective à sanctionner les dysfonctionnements majeurs, de les doter de la faculté de conduire des enquêtes à l’échelle d’un « écosystème territorial » et de publier sur celles-ci des rapports transversaux accessibles aux citoyens. A l’instar du Procureur général, nous restons convaincus que « la mise en jeu de responsabilités personnelles est un puissant levier de protection des intérêts de la société, de lutte contre les dérives dans le bon emploi des fonds publics, ou encore de transformation de l’État ».

Le succès d’initiatives locales comme les rencontres entre les magistrats de la CRC Auvergne-Rhône-Alpes, les magistrats judicaires de Grenoble et Chambéry, et les services de la répression des fraudes de Lyon qui se sont tenues les 8 et 9 février, ou d’initiatives syndicales comme les rencontres professionnelles du 19 janvier avec le SNDGCT, confortent notre conviction. Elles révèlent les attentes placées par les autres magistrats et fonctionnaires assermentés dans une coopération accrue avec les CRTC ; elles reflètent notre rôle incontournable de contre-pouvoir local pour assurer le bon emploi des fonds publics et la vitalité de la démocratie locale. La présence lors de la première rencontre du Procureur général et de la Direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice, traduit à nos yeux l’enjeu national que revêt la cohérence de la chaîne locale de contrôle. Si un maillon est ôté, la chaîne se disloque. Le SJFu souhaite donc que les CRTC assument pleinement leur rôle régalien à l’échelon local.


Nouveau régime indemnitaire. Premier bilan : des progrès mais peut mieux faire.

Le nouveau régime indemnitaire des magistrats de CRTC est entré en vigueur au 1er janvier 2018. Le SJFu en assure un suivi attentif et critique, et vous informera de son déploiement dans chaque Flash Info. L’édition de février 2018 offre l’occasion de dresser les premiers constats, de demander des ajustements et de tracer des perspectives.

 

1. Un dispositif mis en œuvre dans le délai convenu

 

L’administration a mis en œuvre le nouveau régime indemnitaire pour la paye de janvier 2018 et communiqué des éléments individuels d’information à chaque magistrat. Il lui a fallu anticiper en temps masqué et en fin de gestion, mais le pari a été gagné. Bravo !

Conformément aux souhaits du SJFu, les présidents de CRTC ont été invités à organiser dans leurs chambres respectives une réunion d’information des magistrats, à partir d’éléments produits par la direction des ressources humaines.

Les délégués régionaux du SJFu sont à votre disposition pour évoquer toute difficulté relative à votre situation individuelle, vous appuyer auprès de la hiérarchie et au besoin faire remonter une problématique au bureau du syndicat et à l’administration.

 

2. Plusieurs incertitudes demeurent à lever

 

La mise en œuvre du nouveau régime indemnitaire va accroître l’importance de l’évaluation annuelle, dont la trame a été modifiée en 2017. L’objectivité des critères et la cohérence de l’appréciation littérale et du niveau de prime gagneront en sensibilité du fait de la modulation accrue. De ce point de vue, le SJFu demande à l’administration de veiller à éviter quatre écueils :

  • L’effet contreproductif d’une modulation trop différenciée sur la cohésion de la collégialité comme sur la productivité des rapporteurs, compte tenu de la situation variée des ressorts, des organisations et des moyens.
  • Les effets pervers de l’élaboration d’un barème et de critères trop précis, qui aboutirait à une cotation des travaux même implicite, attribuant un montant de bonus ou de malus pour la participation à une FIJ, à un contrôle organique sensible et significatif (région, métropole, etc.), à certains délais intermédiaires (délais de production du rapport après délibéré,…), etc.
  • La nécessaire neutralisation des aléas et des contingences : situations problématiques découvertes en cours d’instruction qui allongent la durée d’instruction, congés prévus par le statut général de la fonction publique (notamment maternité et paternité), bouleversements imprévus d’organisation (prélèvement de ressources par la Cour ou autres missions non programmables, mutation, mobilités, etc.).
  • L’évaluation couperet, d’autant plus mal comprise et admise qu’elle aurait des conséquences financières significatives. L’évaluation doit se professionnaliser et être faite « chemin faisant ». Il ne serait pas concevable qu’un magistrat soit sanctionné négativement au moment de l’entretien annuel d’évaluation sans qu’il ait été antérieurement mis en mesure de connaitre et réagir à des critiques motivées sur sa manière de servir.

Eu égard à la diversité des missions des chambres et des formes que peut revêtir l’investissement professionnel des magistrats, le SJFu privilégie une approche globale du magistrat par son évaluateur, tenant compte de ses différents apports à l’institution. Il convient avant tout d’éviter de semer la discorde entre les magistrats au moment de l’affectation du programme annuel, qui ne manquerait pas d’intervenir si tel ou tel contrôle était plus ou moins récompensé sur le plan indemnitaire. Cette confiance accordée à l’évaluateur n’exclut pas le contrôle auquel le syndicat participera activement au sein du Conseil supérieur ou directement auprès des présidents de CRTC s’il est saisi par des collègues s’estimant lésés.

Les présidents de CRTC vont se réunir dans les prochaines semaines pour harmoniser leurs approches et définir les objectifs et les critères d’évaluation en vue de la modulation du nouveau régime indemnitaire. Le SJFu et les représentants élus du corps demandent à être associés au processus, convaincus qu’un management moderne, épanouissant pour les magistrats et efficace pour l’institution nécessite que les évaluateurs associent les évalués à la définition des objectifs qui leur sont assignés.

 

3. Sur la durée, le compte n’y est pas encore

 

L’augmentation de 833 000 € en 2018 du régime indemnitaire des magistrats de CRTC est la première revalorisation obtenue depuis 2006. Dans l’intervalle, notre pouvoir d’achat a été rogné par l’inflation, le gel du point d’indice et l’alourdissement des prélèvements. Or, la revalorisation du régime indemnitaire ne compense que partiellement l’inflation. Elle représente une augmentation comprise entre 7,74 et 8,56% alors que l’indice des prix à la consommation a progressé de 13,25% entre 2007 et 2017, soit un rattrapage de 60% du décrochage constaté depuis dix ans.

Fort de ce constat, le SJFu a demandé le 30 novembre 2017 qu’une clause de renégociation soit introduite dans l’instruction du Premier président relative au régime indemnitaire, sur le modèle de celle prévue pour le régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (RIFSEEP), applicable aux fonctionnaires de l’Etat. L’instruction signée le 5 janvier 2018 ne prévoit pas une telle clause. Le SJFu demande qu’elle soit modifiée et qu’y soit introduite une clause de revoyure annuelle afin de dresser un bilan de l’année écoulée et de procéder à d’éventuels ajustements au regard des indicateurs macro-économiques.

Nous y tenons d’autant plus que le syndicat, malgré ce rattrapage partiel, a consenti une contrepartie significative que peu d’organisations représentatives ont acceptée, dès lors que la prime de rendement modulable est passée de 30 à 50% du régime indemnitaire. Nous estimons d’ailleurs que les marges de négociation en la matière sont désormais épuisées dès lors que ce taux de modulation est nettement supérieur à celui pratiqué pour les magistrats judiciaires et administratifs mais aussi pour les administrateurs civils. Le maintien d’une rémunération principalement indiciaire et forfaitaire constitue une condition essentielle de l’indépendance et de l’impartialité que tout magistrat se doit de manifester à l’instruction comme en délibéré.

Cette demande s’inscrit dans la volonté du SJFu de maintenir un dialogue permanent avec l’administration, dialogue dont le volet métier est inséparable du volet statutaire, dans un contexte où les missions des CRTC évoluent rapidement et se multiplient sous l’effet des sollicitations du législateur et de la Cour des comptes. L’objectif de la revalorisation intervenue en 2018, partagé par le SJFu et l’administration et qui figure dans le décret du 31 décembre 2017, demeure à atteindre : refléter « le niveau de technicité élevé qu’exige la mission de contrôle des administrations publiques locales ».

 


Retour sur les rencontres professionnelles du 19 janvier 2018 au Sénat

 

 

 

Le 19 janvier dernier, se sont tenues au Sénat les quatrièmes rencontres interprofessionnelles organisées par le SJFu et le Syndicat national des directeurs généraux de collectivités territoriales. Leur organisation a fortement mobilisé nos collègues Sébastien SIMOES et Philippe LAVASTRE qui ont géré l’organisation d’un évènement qui prend de l’ampleur et a constitué un temps fort pour les 250 professionnels, étudiants ou chercheurs en finances publiques participants.

Ouverte par le 1er vice-président du SNDGCT, cette rencontre a vu nos collègues Vladimir DOLIQUE, Alain STEPHAN, Margaux LELONG et Pierre GENEVE contribuer à trois tables rondes denses, actuelles et sensibles consacrées :

  • à la réorganisation des collectivités territoriales imposée par la nouvelle transparence financière ;
  • aux conséquences de la dématérialisation pour les collectivités territoriales dans leurs relations avec le comptable public et le juge financier ;
  • aux conséquences de la baisse des dotations de l’État, de la réforme de la taxe d’habitation et de la contractualisation sur l’autonomie financière des collectivités territoriales.

La situation et la trajectoire des collectivités face aux contraintes financières et technologiques a été longuement débattue sur la base d’une analyse forte  de Luc-Alain VERVISCH, administrateur territorial, professeur associé à l’université Cergy-Pontoise, consultant en finances locales qui a exprimé le malaise et l’inquiétude des collectivités prises dans des contraintes de gestion appelant des réformes profondes de leur fonctionnement.

En clôturant la journée, Yves ROQUELET s’est félicité de ces échanges entre acteurs et professionnels de la gestion locale qui favorisent les réflexions et les enseignements partagés. Il a rappelé que les chambres régionales et territoriales des comptes, à équidistance des administrations centrales et des gestionnaires locaux, connaissent particulièrement bien les collectivités territoriales et constituent, dans une République décentralisée, un échelon pertinent pour comprendre des politiques publiques qui fondent le « vivre ensemble ». Il s’est déclaré convaincu que les chambres régionales ne pourront s’affranchir dans leurs missions, leurs contrôles ou leurs observations des conséquences qu’auront sur les collectivités les réformes institutionnelles et budgétaires en cours tendant à encadrer la dépense, reconfigurer les ressources et déplacer la responsabilité des acteurs. C’est pour y répondre avec plus de pertinence et d’efficacité que le SJFu déclinera en propositions concrètes les orientations du Livre Blanc des juridictions financières en se plaçant résolument en cohérence avec les prérogatives des collectivités et les responsabilités des gestionnaires locaux.