Alice Navarro, chef du bureau du droit des sociétés et de l’audit à la direction des affaires civiles et du Sceau a présenté le 10 novembre 2016 les origines et les grands axes de la réforme européenne de l’audit.

Quelle est l’origine de la réforme du commissariat aux comptes ?

La crise financière qui a durement touché les pays de l’Union européenne à partir de 2007 a mis en évidence des faiblesses importantes concernant l’information financière dans des secteurs clés pour l’économie. Logiquement, la question de la qualité du contrôle légal des comptes, qui contribue de manière essentielle à la qualité de cette information financière, a été mise en question. Les déficiences constatées rendaient nécessaire une évolution de la réglementation de cette activité, dont la Commission européenne a pris l’initiative en publiant un livre vert en 2010.

Les négociations qui s’en sont suivies dans le but de faire évoluer la législation européenne ont été longues et souvent difficiles. Il n’était pas évident de parvenir à un compromis car les marchés de l’audit et les niveaux de réglementation des Etats membres de l’Union sont assez disparates. Deux textes en sont issus : un règlement et une directive adoptés le 14 avril 2014.

Ces textes introduisent des nouveautés importantes, mais l’harmonisation qu’ils opèrent est très relative car ils laissent aux Etats membres une assez grande latitude dans leur adaptation au plan national.

Pour transposer ces textes, le Gouvernement a fait des choix conformes aux priorités qu’il avait poursuivies dans la négociation : préserver l’unicité de la profession, promouvoir le co-commissariat aux comptes (une spécificité du système français qui offre le double intérêt de favoriser l’indépendance des professionnels, leur esprit critique et le scepticisme professionnel dont ils doivent faire preuve), et permettre le maintien d’une diversité d’opérateurs en limitant la concentration du secteur, comme elle existe dans d’autres pays européens.

Comment cette réforme a-t-elle été préparée ? La profession et les entreprises y ont-elles été associées?

Le Gouvernement a été habilité par le Parlement à légiférer par voie d’ordonnance. Le ministère de la justice, qui est l’autorité de tutelle des commissaires aux comptes, s’est attelé à la préparation de cette réforme dès 2014, en étroite coordination avec le ministère des finances.

Il était essentiel, pour une réforme de cette nature, de permettre aux parties prenantes d’exprimer leur point de vue sur les modalités de la mise en cohérence du droit national avec le droit de l’Union.

Des groupes de travail ont donc été formés dès 2014 afin d’associer à ce processus l’autorité de régulation sectorielle (le Haut conseil du commissariat aux comptes), la compagnie nationale des commissaires aux comptes, les organisations représentant les entreprises (le Medef, l’AFEP, la CGPME) ainsi que les autorités de marchés (l’Autorité des marchés financiers, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution).

Les grands axes de l’ordonnance ont été définis en prenant en compte les préoccupations des principaux acteurs concernés, et les projets de textes leur ont été soumis pour consultation.

L’ordonnance du 17 mars 2016 relative au commissariat aux comptes, et son décret d’application du 26 juillet 2016, sont le fruit de ce travail de concertation.

Quels sont les principaux axes de cette réforme ?

Les textes européens ont un objectif : l’amélioration de la qualité de l’audit légal. Cet objectif est mis en œuvre essentiellement sur deux plans.

D’une part, les autorités compétentes pour la régulation de ces activités voient leurs attributions élargies, en particulier pour le contrôle des cabinets d’audit et la sanction des comportements répréhensibles. D’autre part, les règles qui garantissent l’indépendance des auditeurs à l’égard des entreprises dont ils contrôlent les comptes sont renforcées. C’est particulièrement le cas pour le contrôle des comptes des entités d’intérêt public.

Pourquoi les entités d’intérêt public sont-elles soumises à des règles spécifiques ?

Les entités d’intérêt public sont des acteurs économiques qui présentent un risque systémique important, c’est-à-dire ceux dont la défaillance peut entraîner  celle d’une multitude d’autres acteurs ou d’investisseurs, et avoir des conséquences importantes sur l’activité économique globale. Il s’agit des sociétés cotées, des établissements de crédit et des entreprises du secteur de l’assurance. Il est naturel qu’un degré de vigilance particulier soit porté sur l’information financière fournie par ce type d’entreprises.

Des règles particulières s’appliquaient déjà pour la certification des comptes des entités d’intérêt public. Cependant l’ordonnance introduit un ensemble de règles nouvelles, plus contraignantes, et qui figurent parmi les mesures les plus novatrices, par rapport au cadre normatif interne, de cette réforme. Ainsi, les commissaires aux comptes des entités d’intérêt public doivent être désignés au terme d’une procédure de sélection, qui est une forme d’appel d’offres imposant de choisir entre plusieurs candidats.

Ils sont dorénavant soumis à une obligation de rotation, qui limite la durée maximale de leur mission auprès de ces entreprises.

En dehors de leur mission légale, qui est de certifier les comptes, le type de services qu’ils sont habilités à fournir à leurs clients, est soumis à un nouvel encadrement. Il y a d’un côté un assouplissement quant à la nature des services qui sont autorisés, et d’un autre côté une limitation du volume de ces services.

L’indépendance des commissaires aux comptes à l’égard de leurs clients est dorénavant assurée par des règles d’ordre financier, par le plafonnement de leur activité auprès d’une même entreprise pour des services distincts de la mission d’audit légal, ce qui est une approche nouvelle pour la France.

S’agissant des mesures imposées aux entreprises et notamment l’obligation pour les entités d’intérêt public de se doter d’un comité d’audit doté de certaines attributions pour le choix des commissaires aux comptes, la transposition de la directive a veillé à préserver les équilibres de gouvernance garantis par le droit français des sociétés.

Quelles sont les nouveautés qui concernent le Haut conseil du commissariat aux comptes, autorité de régulation de la profession ?

Cette autorité publique indépendante créée par la loi de sécurité financière de 2003 avait d’ores et déjà pour objectif de renforcer la supervision publique de cette activité. La réforme européenne a renforcé le rôle des régulateurs nationaux.

Pour traduire en droit interne ce renforcement, l’ordonnance introduit des modifications importantes qui concernent à la fois sa composition (les commissaires aux comptes en exercice n’y siègeront plus, afin de se conformer au règlement européen), ses règles de fonctionnement et ses attributions.

Un des aspects les plus saillants porte sur le rôle du H3C comme autorité de sanction. Jusqu’à présent, ce rôle était pour ainsi dire résiduel, par comparaison avec l’activité de contrôle de la profession qui constitue le cœur de son activité. Il n’était que le juge d’appel des décisions rendues par les chambres régionales de discipline. Dorénavant, le H3C est doté de pouvoirs d’enquête. Il partagera avec des commissions régionales de discipline locales le pouvoir de prononcer des sanctions.

Plus important encore, les sanctions ne sont plus seulement disciplinaires. Elles pourront s’appliquer à un public plus large que les seuls commissaires aux comptes, notamment à leurs associés ou collaborateurs, de même qu’aux entreprises soumises à l’obligation de désigner un commissaire aux comptes, et à leurs dirigeants. Cet élargissement du cercle des personnes responsables, voulu par l’Union européenne a pour corollaire le renforcement des attributions du H3C dans ce domaine de régulation qui dépasse le strict champ professionnel.

Autre nouveauté importante : les sanctions prononcées pourront être de nature pécuniaire, ce qui est totalement nouveau dans de nombreux Etats, dont la France. Au regard des scandales financiers intervenus, hors de France d’ailleurs, l’Union européenne a voulu mettre en place des règles dissuasives.

Il en va de la crédibilité de la supervision et, par conséquent, de la fiabilité de l’information financière. C’est précisément ce qu’a compris le législateur européen en mettant en place cette réforme.

Cette évolution majeure n’est pas sans susciter une certaine appréhension, à la fois au sein de la profession et dans les entreprises, qui le vivent comme une menace ou un signe de défiance. Les auditeurs français se distinguent par un niveau d’exigence déontologique élevé, au-dessus de ce que l’on constate dans la majorité des autres Etats membres de l’Union européenne. Ils n’ont rien à craindre de ces évolutions.

La France a d’ailleurs jusqu’ici été épargnée par les grand scandales financiers qui ont éclaté chez certains de nos voisins et conduit à la mise en cause des auditeurs. Cependant nul n’est à l’abri. Il est indispensable de prévenir efficacement la survenance de tels événements et, s’ils surviennent, de pouvoir y répondre de manière adaptée. Cette réforme va pleinement dans ce sens.

La réforme ouvre aussi de nouvelles opportunités aux commissaires aux comptes de développer au profit des entreprises leur expertise : ainsi à rebours du système actuel leur interdisant de fournir des services autres que d’audit sous réserve des diligences directement liées à ceux-ci, ils pourront désormais fournir ces autres services (à l’exception d’une liste limitée de services par nature interdits) dans la limite d’un plafonnement s’agissant des commissaires aux comptes intervenant pour des entités d’intérêt public, sans limitation pour les autres, Pour qu’ils se saisissent au mieux de ces opportunités nouvelles, le gouvernement a également prévu d’abaisser au plancher minimal de 51% de détention des droits de vote par les commissaires aux comptes de leurs sociétés d’exercice contre 75 % actuellement ce qui devrait augmenter l’attractivité, au profit de nouveaux talents, de ces sociétés aptes ainsi à développer leur offre de services.

Au total cette réforme qui augmente le seuil d’exigence envers la profession pour des motifs d’intérêt général, lui offre aussi les moyens de son développement. C’est donc une réforme équilibrée, la plus importante dans ce secteur depuis la loi du 1er août 2003 de sécurité financière.

Pour en savoir davantage:

Réforme Européenne de l’Audit Réforme Européenne de l’Audit:

CHAMP DE LA RÉFORME : Les textes portant réforme de l’audit sont : • la directive 2014/56/UE modifiant la directive 2006/43/CE s’appliquant à tous les contrôles légaux des comptes annuels et des comptes consolidés, que l’entité auditée soit EIP ou non EIP • le règlement UE 537/2014 relatif aux exigences spécifiques applicables au contrôle légal des comptes des EIP.

CALENDRIER : Entrée en application des textes le 17 juin 2016

PÉRIMÈTRE DE L’EIP : L’ordonnance introduit pour la première fois une définition des EIP en France.

DURÉE DU MANDAT ET ROTATION OBLIGATOIRE DES CABINETS : La durée du mandat est maintenue à 6 exercices. La réforme européenne de l’audit prévoit une rotation obligatoire des commissaires aux comptes et des cabinets d’audit EIP. Des dispositions transitoires visant à éviter une mise en œuvre trop brutale de cette règle ont été introduites.

SÉLECTION DES AUDITEURS : Pour les EIP, à l’issue de la durée maximale cumulée des mandats du commissaire aux comptes, le comité d’audit soumet aux instances décisionnaires une recommandation pour la désignation de commissaires aux comptes ou de cabinets élaborée à l’issue d’une procédure de sélection.

ROTATION DES ASSOCIÉS SIGNATAIRES : La rotation des associés signataires s’applique à l’ensemble des EIP ainsi qu’aux APG. Les associés signataires ne peuvent certifier durant plus de six exercices consécutifs les comptes d’une EIP. Le délai de viduité est fixé à trois ans (2 ans avant la réforme).

RÔLE DU COMITÉ D’AUDIT Les EIP et les sociétés de financement doivent se doter d’un comité spécialisé. Celui-ci, également appelé comité d’audit, a un rôle accru.

SERVICES AUTRES QUE LA CERTIFICATION DES COMPTES (SACC) : Les textes européens entraînent la disparition du concept de diligences directement liées à la mission du commissaire aux comptes. Après la réforme, est autorisé tout ce qui n’est pas interdit alors qu’antérieurement tout ce qui n’était pas autorisé était interdit. Il y a cependant un processus d’approbation des services autres que la certification des comptes.

NORMES D’AUDIT : En l’absence de normes d’audit internationales adoptées par la Commission européenne, les commissaires aux comptes se conforment aux normes adoptées par le H3C conformément au processus de normalisation. AUDIT DANS LES PME L’article 2 de la directive définit le contrôle légal comme un contrôle des états financiers annuels ou des états financiers consolidés dans la mesure où il est : • requis par le droit de l’Union, • requis par le droit national en ce qui concerne les petites entreprises1 , • volontairement effectué à la demande des petites entreprises. L’ordonnance prévoit la possibilité d’une application proportionnée des normes d’audit aux contrôles légaux des comptes des petites entreprises.

RAPPORT D’AUDIT : Les rapports EIP et non EIP auront une trame commune mais le rapport EIP comprendra des informations supplémentaires spécifiques aux EIP.

RAPPORT COMPLÉMENTAIRE AU COMITÉ D’AUDIT : Lorsque les commissaires aux comptes interviennent auprès de personnes ou d’entités soumises à l’obligation de se doter d’un comité d’audit (EIP + sociétés de financement), ils lui remettent un rapport complémentaire conforme aux dispositions de l’article 11 du règlement.

RÉGULATION DE LA PROFESSION : Une des mesures introduites par la réforme est le renforcement des compétences et des pouvoirs du H3C.

ENQUÊTES ET SANCTIONS : Le H3C diligente des enquêtes portant sur les manquements aux dispositions du Titre II du Livre VIII du code de commerce et à celles du règlement. Les commissaires aux comptes sont passibles de sanctions à raison des fautes disciplinaires qu’ils commettent. Les personnes autres que les commissaires aux comptes sont également passibles de sanctions à raison de certains manquements uniquement.

GOUVERNANCE DES CABINETS :Dorénavant, la majorité des droits de vote des sociétés de commissariat aux comptes doit être détenue par des commissaires aux comptes (et non plus par les 3/4) et la majorité au moins des membres des organes de gestion, d’administration, de direction ou de surveillance doit être des commissaires aux comptes (et non plus les 3/4).