L’assouplissement des règles de réduction des déficits publics est contesté par la BCE
Dans un article très bien informé, Jorge Valero présente les réticences de la Banque centrale européenne à l’égard de la politique de la Commission visant à assouplir les règles de déficits publics :
Pour la Banque centrale européenne, la volonté de la Commission d’assouplir les règles de réduction des déficits publics pour compenser le coût des réformes structurelles dans les Etats membres est contre productive.
Les marges de manoeuvre proposées par la Commission aux Etats membres dans sacommunication sur l’application des règles du pacte de stabilité et de croissance ne sont pas au goût de la Banque centrale européenne (BCE).
Les inquiétudes de la BCE se concentrent surtout sur la clause de réforme structurelle, qui a pour objectif de donner plus de marge aux États dans la gestion de leur déficit budgétaire. Cette flexibilité est censée compenser les coûts à court terme potentiellement générés par l’application des réformes. Pourtant, selon la BCE, seuls un petit nombre de réformes auront des conséquences budgétaires à court terme. Cette clause devrait donc être « appliquée avec prudence », estime la BCE dans son dernier bulletin économique.
Pour la BCE, permettre davantage de flexibilité aux États membres dans le cadre de la procédure concernant les déficits excessifs dès l’annonce (et non l’application) des plans de réformes n’est pas une bonne idée.
Les États sont censés réduire leur déficit à maximum 3 % de leur PIB. Leur permettre de retarder cet objectif avant l’application des réformes signifie que les mesures prises par les gouvernements nationaux devront être « surveillées en continu » pour assurer que les réformes sont bien concrétisées. « Sans cela, on donne aux pays une bonne raison de retarder leurs projets de réforme, voire de les revoir à la baisse une fois que l’UE leur a accordé une plus grande flexibilité », indique la BCE. L’utilisation de cette clause pourrait donc être « contreproductive ».
L’utilisation de cette clause ex-ante est l’élément le plus controversé de la communicationde l’exécutif européen. Les détracteurs de la clause, dont l’Allemagne et les services juridiques du Conseil, estiment que la Commission dépasse les limites du pacte de stabilité et de croissance.
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La BCE souligne pourtant que l’application de la clause est entravée par la difficulté d’évaluer les réformes concrétisées. Cet exercice entraine en effet l’analyse d’un grand volume de données, puisqu’il s’agit non seulement de juger de l’adoption d’une nouvelle loi, mais aussi de ses diverses règles de mise en œuvre. La « quantification de l’impact des réformes structurelles appliquées est sujette à un degré d’incertitude », souligne la BCE.
Des réformes pas si chères que ça
La BCE se base sur ses recherches et son expérience empiriques pour noter qu’il est très difficile de déterminer l’effet précis des réformes. Seule une réforme « systémique » des retraites semble avoir des conséquences négatives sur les caisses de l’État à court terme. Dans certains cas, comme la réduction des allocations de chômage, les réformes sont en outre une bonne nouvelle pour les budgets nationaux.
Étant donné ces difficultés d’évaluation, la BCE recommande une « application prudente » de la clause en question. Et si elle est appliquée, elle devrait l’être d’une manière « claire et transparente », afin d’éviter que les États ne soient pas tous traités de la même manière.
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La France, la Belgique et l’Italie ont déjà profité de cette clause sur les réformes. Le cas de la France n’est d’ailleurs pas passé inaperçu à Bruxelles. C’est en effet la troisième fois que Paris obtient un délai supplémentaire pour équilibrer sa dette. Cette fois, Pierre Moscovici, le commissaire français, et d’anciens membres du gouvernement de François Hollande seraient à l’origine de l’obtention de ce sursis.
Afin d’éviter des tensions supplémentaires, le président de la BCE, Mario Draghi, insiste quant à lui depuis plusieurs mois sur la nécessité de mettre en place une réforme institutionnelle afin de dynamiser la gouvernance économique dans l’UE. En mars dernier, il a estimé que l’approche du pacte de stabilité et de croissance « ne [pouvait] être crédible que si elle n’[était] appliquée que de manière très limitée ». Il souligne toutefois que dans l’UE « les règles budgétaires ont souvent été transgressées et la confiance entre les États a été mise à rude épreuve ».
Mario Draghi appelle donc à ce que le système soit plus tourné vers les institutions afin de mettre en place une « prise de décision plus crédible et plus flexible ».
Le président de la BCE a influencé le rapport des cinq présidents, qui préconisait la mise en place de conseils de compétitivité nationaux afin de mieux gérer et façonner les politiques censées favoriser la production européenne. La Commission a présenté une proposition de création d’organes de ce type le 21 octobre.
CONTEXTE
La communication interprétative sur le pacte de stabilité et de croissance, adoptée par le collège des commissaires le 13 janvier 2015, assouplit la discipline budgétaire exigée des États membres, tant dans les volets préventif que correctif du PSC, à condition que les pays mettent en place des réformes structurelles et encouragent l’investissement, ou si leur environnement économique se détériore considérablement.
La révision des règles budgétaires était une promesse faite aux Socialistes par le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, en échange de leur soutien à sa nomination.
Les experts considèrent que la nouvelle interprétation représente une avancée réelle et saluent en particulier la possibilité de faire un écart temporaire vis-à-vis de la procédure concernant les déficits excessifs, quand les réformes sont prévues, mais pas encore légalement approuvées.
La communication de la Commission européenne confirme que l’application des réformes structurelles sera considérée comme un facteur important de la procédure concernant les déficits excessifs. Comme il n’existe pas de cadre méthodologique permettant d’évaluer les conséquences budgétaires des réformes structurelles, l’exécutif européen décide d’accorder ou non le droit de faire jouer la clause de réforme sur la base du plan de réforme élaboré par l’État membre en question lors de la mise à jour annuelle des programmes de stabilité et de convergence. Ce plan de réforme doit notamment inclure des informations détaillées et vérifiables et des prévisions raisonnables sur l’adoption et la concrétisation des réformes envisagées.
Le service juridique du Conseil a publié une opinion début avril remettant en question ce point de la communication de la Commission sur le pacte de stabilité et de croissance. Le Conseil estime cependant qu’une simple annonce des réformes à venir, aussi crédible et détaillée soit-elle, n’est pas suffisante.
Face aux critiques, la Commission a insisté sur le fait que sa communication était légalement fondée et se trouvait dans le cadre de ses compétences.
Le Comité économique et financier du Conseil devrait publier un nouveau code de conduite en décembre. Celui-ci aura pour objectif de minimiser les divergences d’opinion entre la Commission et le Conseil. Peu importe les conclusions du Conseil, la Commission a déclaré qu’elle continuerait d’appliquer sa communication.