Les juridictions financières sont à la croisée des chemins. Sous l’influence uniformisante du modèle anglo-saxon de l’agence d’audit et intéressée de professions réglementées animées de visées commerciales, le contrôle régalien de l’emploi des fonds publics, consolidé depuis le XIVème siècle et appliqué à la République décentralisée en 1983, est remis en question.
Dans ce contexte, le SJF a publié en juillet 2017 un Livre Blanc des juridictions financières afin d’exprimer le projet des magistrats des chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC) pour l’avenir de leur institution. Largement concerté et approuvé par les deux tiers des adhérents, ce document exprime une conviction : le contrôle de l’emploi des fonds publics, condition du consentement à l’impôt et donc de la démocratie, doit rester confié à des juridictions indépendantes.
Le congrès de Metz d’octobre 2017 a mandaté le Bureau du syndicat pour décliner le Livre Blanc en projets de lois et pour les promouvoir auprès du Gouvernement, des parlementaires, de l’administration et des associations d’élus.
Un groupe projet a été constitué d’emblée et a réalisé ce travail dans les mois suivant le congrès. Le 6 mars 2018, le Conseil national a approuvé le projet et formulé des amendements. Le document a été finalisé par le Bureau après une intense concertation, notamment avec nos interlocuteurs institutionnels.
Le document final, intitulé « Cinq propositions pour le citoyen et la performance de l’action publique », a été publié en mai 2018 et diffusé aux adhérents en juin 2018. Il regroupe les projets de lois selon cinq axes abordant l’ensemble des thèmes du Livre Blanc, et exprime trois convictions fortes :
1) Le juge financier local a vocation à devenir le juge de droit commun de la chaîne de la dépense locale, de l’ordonnateur au comptable. Cela implique un transfert des compétences de la CDBF aux CRTC en première instance s’agissant des organismes locaux, un élargissement du champ des justiciables aux élus locaux et une évolution forte de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics pour tenir compte de la porosité croissante entre l’ordonnateur et le comptable.
2) Les interventions du juge financier local doivent être rapprochés du citoyen qui en attend de l’efficacité. Cela repose sur l’approfondissement du dispositif de suivi des recommandations, par l’instauration de mises en demeure en cas de non-respect répété d’un rappel substantiel à la loi, par l’adaptation du niveau des publications aux réalités locales (rapports régionaux et sur des « écosystèmes territoriaux »), par l’élargissement à des commissions administratives de contrôle existantes (CCSPL, CCF, etc.) de la capacité à demander un examen des comptes et de la gestion.
3) Notre corps doit être géré selon le droit commun des conseils de justice européen parce que c’est la garantie d’un exercice non instrumentalisé de compétences renforcées. Cela implique que le Conseil supérieur des CRTC soit plus équilibré, rende des avis conformes sur les nominations et que son fonctionnement soit encadré par décret ; que la mission d’inspection des CRTC soit étendue à l’ensemble des juridictions financières, que sa composition soit mixte (Cour / CRTC) et que son activité soit recentrée sur le contrôle interne.
Télécharger les Cinq propositions pour le citoyen et la performance de l’action publique sous le lien suivant
… ou les feuilleter ci-après :
La loi de finances pour 2018 et les premières orientations du programme Action Publique 2022 (contractualisation budgétaire, compte financier unique, revue voire suppression de la séparation ordonnateur/comptable, certification des grands comptes locaux, faculté pour les collectivités d’expérimenter une différenciation réglementaire, etc.) engagent un renouvellement du cadre la décentralisation et vont nécessairement conduire à repositionner les CRTC. Or, à l’heure actuelle, ni le Gouvernement ni la Cour des comptes n’ont inclus nos juridictions dans cette tectonique des plaques, ni exprimé de vision de leur avenir et de leur rôle institutionnel alors même que les dispositifs de régulation apparaissent comme le chaînon manquant du projet gouvernemental.
La conviction exprimée par le SJF dans le Livre Blanc des juridictions financières en est renforcée : les CRTC doivent s’affirmer davantage comme le régulateur de la gestion publique locale et conserver pour ce faire leur mission régalienne, là où les préfectures et le réseau de la DGFiP s’effacent peu à peu.
Aussi, le SJF a remis les « Cinq propositions pour le citoyen et la performance de l’action publique » au Président de la République, au Premier ministre, au ministre des Comptes publics, aux présidents des Assemblées, au Premier président, au Procureur général, aux associations d’élus locaux ainsi qu’à de nombreux autres interlocuteurs institutionnels. Le Bureau a multiplié cet été les consultations pour en promouvoir la mise en oeuvre.
Ces Cinq propositions ne sont bien sûr pas exhaustives, n’ont pas vocation à couvrir tous les enjeux auxquels font face les CRTC et constituent un compromis entre beaucoup de convictions légitimes et pertinentes. Surtout, elles ouvrent de nouveaux chantiers que le SJFu doit fortement investir, dont deux seront au programme du congrès 2018 qui se tiendra les 15 et 16 novembre prochains à Paris : l’équilibre des travaux communs Cour / CRTC et la certification des comptes locaux.