Remise du Livre blanc sur l’immobilier pénitentiaire
La commission du Livre blanc sur l’immobilier pénitentiaire a remis le 31 mars son rapport à Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la justice. Mise en place le 24 janvier 2017, elle a été présidée par Jean-René Lecerf, président du conseil départemental du Nord.
Le garde des Sceaux avait installé le 24 janvier dernier, en présence du Premier ministre, la commission chargée de rédiger un livre blanc sur l’immobilier pénitentiaire. Composée de trois collèges (Etat, Parlement, personnalités qualifiées) représentés par plus 50 personnes, et présidée par Jean-René LECERF, Président du Conseil départemental du Nord et ancien Rapporteur de la loi Pénitentiaire de 2009, la commission a donc remis à Jean-Jacques URVOAS, garde des Sceaux, ministre de la justice, le fruit de son travail.
La France compte, au 1er janvier 2017, 58 681 places de prison, pour un total de 78 796 personnes sous écrou, dont 68 432 effectivement détenues. Le taux de densité carcérale, qui était de de 112 % au 1er janvier 1995, s’élevait à 118 %, et ce, malgré la construction de 10 494 nouvelles places de prison pendant cette période. Les maisons d’arrêt concentrent le problème de la surpopulation carcérale : leur taux d’occupation s’élève à 142 %, alors qu’il n’est que de 86 % dans les établissements pour peine.
Le principe de l’encellulement individuel, qui a été inscrit dans la loi dès 1875, n’a jamais pu être mis en œuvre dans les faits. Il fait aujourd’hui l’objet d’un moratoire et son application est reportée à 2019. À la suite de son rapport du 20 septembre 2016, « En finir avec la surpopulation carcérale », et à l’occasion du lancement d’un programme immobilier d’une ampleur sans précédent (33 maisons d’arrêt, 28 quartiers de préparation à la sortie), le ministre de la Justice a confié à la Commission du Livre blanc, présidée par M. Jean-René Lecerf, président du conseil départemental du Nord, la tâche de réfléchir à la mise en œuvre de ce programme et aux conditions de sa réussite. La Commission a été installée le 24 janvier 2017. Composée d’élus, de représentants d’autorités indépendantes, des ministères et d’associations, de professionnels, de chercheurs, de personnalités qualifiées, elle s’est réunie à 12 reprises. Sur la base de contributions et d’interventions d’experts et d’un travail commun validé par deux réunions plénières, elle a abordé les différentes questions posées autour de trois axes : la construction des nouvelles prisons, le recrutement et la formation des personnels, l’intégration des établissements dans leur territoire. Fruit de ces travaux, le Livre blanc a été remis au ministre le 31 mars 2017.
À titre liminaire de sa réflexion, la Commission s’est d’abord attachée à comprendre les facteurs explicatifs de la surpopulation carcérale actuelle. La situation particulièrement critique des maisons d’arrêt résulte à la fois de la croissance actuelle du nombre de prévenus et de l’application d’un numerus clausus de fait dans les établissements pour peines depuis la réforme de 1975. Par suite, on dénombre dans les maisons d’arrêt, outre les prévenus, de nombreuses personnes condamnées à de courtes peines.
La Commission juge indispensable, en préalable à toute autre action, de dynamiser la politique d’alternatives à l’incarcération et d’aménagements de peines. Considérant que les maisons d’arrêt doivent être reconnues comme de véritables lieux d’exécution des peines, elle préconise également de limiter les affectations dans les futures prisons aux capacités effectives d’accueil. Enfin, la Commission relève que des progrès sont indispensables au niveau des systèmes d’information utilisés par l’administration, au vu des nombreux dysfonctionnements constatés, qui entravent l’action des différents acteurs ainsi que leurs échanges d’information.
S’agissant de la construction des nouvelles prisons, la Commission a d’abord voulu réaffirmer son attachement au droit à l’encellulement individuel, indissociable d’une conception républicaine de l’exécution de la peine. Pour la Commission, cette exigence conduit à définir la cellule individuelle comme un lieu de repos et d’intimité pour la personne détenue. La prise en compte de la nécessaire socialisation des personnes détenues impose en effet une réflexion sur le régime de détention, en y associant le principe d’une obligation d’activité de 5 heures quotidiennes. Il revient à l’administration pénitentiaire, en accord avec les services de l’État et les collectivités territoriales, de mettre en œuvre l’offre d’activités nécessaire.
La Commission souligne le rôle essentiel que doivent jouer les quartiers arrivants et d’évaluation (QAE) dans les maisons d’arrêt. Elle considère nécessaire de les redimensionner en conséquence. Le temps d’évaluation doit en effet être enrichi dès l’entrée en détention, afin que les regards croisés des différents professionnels intervenant auprès de la personne détenue permettent de l’orienter et de lui proposer un programme d’activité personnalisé, axé sur la réinsertion, la préparation à la sortie et la prévention de la récidive.
S’agissant des régimes de détention, la Commission estime qu’ils doivent inciter la personne détenue à s’engager dans une dynamique de changement. Elle s’est montrée particulièrement intéressée par les expérimentations autour du « régime Respect » engagées dans plusieurs établissements pénitentiaires, qui permettent de redonner tout son sens à l’exécution des peines et au métier de surveillant. La Commission recommande qu’une formalisation du cadre de ces régimes accompagne leur développement, en attendant leur labélisation par l’administration. La création de « quartiers de préparation à la sortie » (QPS) est une occasion de développer de façon déterminée des solutions innovantes en matière de prévention de la récidive et de suivi des populations pénales. Au regard des pratiques de certains de nos voisins européens et de leur faible taux de récidive, la Commission propose, dès à présent, d’expérimenter le modèle d’une prison ouverte dans certains QPS.
Respectant la double exigence de l’encellulement individuel et de l’obligation d’activité, les nouvelles prisons doivent s’organiser autour d’un projet d’établissement partagé : en amont des programmations, la totalité des acteurs de terrain appelés à faire fonctionner le futur établissement seront associés au projet. Le programme immobilier doit également être l’occasion de mettre en œuvre des principes architecturaux forts, tirant les leçons des expériences passées : des espaces collectifs répondant aux objectifs d’activité et de socialisation ; des circulations fluides ; un traitement de la lumière et du bruit qui favorise un climat apaisé. Indispensables pour faciliter la vie quotidienne en détention et préparer à la réinsertion, les nouvelles technologies seront intégrées à la vie des établissements.
Conçus dans le souci de maîtriser les niveaux de sécurité appliqués aux personnes détenues, en fonction de leur personnalité -une différenciation des maisons d’arrêt selon les profils de populations détenues doit être envisagée-, les nouveaux établissements s’attacheront aussi à prendre en considération les besoins des personnes détenues les plus vulnérables. La valorisation du métier de surveillant est un enjeu majeur. Alors que l’érosion naturelle des personnels (départs en retraite, détachements, démissions, etc.), jointe au nouveau programme de construction, devraient conduire, selon les projections, à un besoin de recrutement de plus de 29 000 agents dans les dix prochaines années, le premier gage d’une attractivité retrouvée passe par l’amélioration des conditions de travail des personnels, au premier rang desquelles la diminution de la suroccupation des détentions.
Par ailleurs, la Commission relève que la diversification récente des missions des surveillants (ERIS, surveillance électronique, unités hospitalières, etc) doit s’accompagner d’un renforcement de leur engagement dans leur cœur de métier, qui reste la garde, l’observation et la réinsertion des personnes en détention, en lien avec les autres professionnels et intervenants, afin d’incarner pleinement la force de justice et de sécurité qu’ils ont vocation à être. La réinsertion et la prévention de la récidive, qui relèvent d’un travail pluridisciplinaire, doivent conduire à renforcer le rôle des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation au sein de la détention et à intégrer systématiquement dans les équipes des psychologues.
Au-delà, pour affronter le défi de recrutement et de formation, l’École nationale d’administration pénitentiaire (Énap) doit être davantage associée à la programmation des recrutements et devenir un établissement public à part entière. Tout en restant opérateur unique de la formation des personnels pénitentiaires, elle doit piloter l’ensemble de la formation depuis le site d’Agen, agrandi, et à travers des pôles interrégionaux de formation continue. L’administration pénitentiaire, quant à elle, doit rompre avec un centralisme de gestion qui touche aujourd’hui ses limites, en renforçant la fonction d’encadrement au sein des détentions et en déconcentrant les actes de gestion au sein des directions interrégionales. Le dialogue social doit faire davantage intervenir les échelons régionaux et locaux.
Les missions de l’administration pénitentiaire concernent la société tout entière. Pour accomplir pleinement la fonction de réinsertion et de prévention de la récidive qui est au cœur de l’exécution de la peine, la prison doit cesser d’être un point aveugle au sein des territoires. Impliquer les services de l’État, l’ensemble des collectivités territoriales (régions, départements, communes) et les acteurs socio-économiques (entreprises, chambres consulaires…) impose de mener une politique d’intégration déterminée. Axée sur une communication qui déconstruise l’image des « prisons de la honte » pour réaffirmer l’image du service public pénitentiaire, cette politique doit travailler l’attractivité–y compris en explorant les dispositifs de dépense fiscale et d’incitation financière propres à mieux intéresser les collectivités à accueillir les prisons. 7
Au-delà du nécessaire diagnostic des potentialités du territoire au moment du choix des implantations, il est indispensable de faire collaborer l’ensemble des acteurs à la vie de la prison (offre d’activités, accès aux services publics, adaptation du système de soins, réseau de transports, logements des personnels, etc).
Afin de lever les obstacles qui découlent trop souvent des cloisonnements verticaux entre les services et les différents partenaires, la Commission recommande de confier la mise en œuvre du programme pénitentiaire à une direction de projet rattachée à la direction de l’administration pénitentiaire et plus à même, en coordination avec l’Agence pour l’immobilier de la Justice, de créer les synergies nécessaires autour des projets.
Sans prétendre chiffrer exactement le plan d’encellulement individuel, la Commission a voulu évaluer son coût global, sur la base de premières estimations des services qui restent à affiner. L’intégration des différents coûts, directs (acquisitions foncières, constructions) et indirects (recrutements, fonctionnement, impacts sur les autres services, etc), conduit à mieux mesurer l’ampleur de l’investissement demandé, tant en volume qu’en durée. La Commission recommande une vigilance particulière au moment du choix des modes de dévolution pour les constructions envisagées. Elle attire également l’attention sur les recherches d’économies possibles et estime qu’une politique pénale active devrait permettre de réduire l’ampleur du programme projeté ou de le réorienter au profit d’un plus grand développement des QPS. Surtout, elle préconise que le plan d’encellulement individuel puisse faire l’objet du vote d’une loi de programme par le législateur, afin d’en pérenniser l’engagement et les orientations.
Pour en savoir davantage :
Et pour aller plus loin encore :
Bilan des recherches foncières pénitentiaires – 23 février 2017
Installation de la Commission « livre blanc sur l’immobilier pénitentiaire » – 24 janvier 2017