Le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire pour la confiance dans la vie politique ont été définitivement adoptés par le Parlement au début du mois d’août. Ces deux projets de loi s’inscrivent dans le cadre de la réforme tendant à la moralisation de la vie publique.

 

Le Syndicat des juridictions financières regrette que leurs dispositions, certes utiles, n’aient pas été plus ambitieuses.

 

Nos propositions

Le 7 juillet 2017, notre syndicat  a publié un livre blanc consacré à l’avenir des juridictions financières. Ce document énonce plusieurs propositions visant à rétablir la confiance des citoyens dans l’action publique et à adapter les compétences et les procédures des juridictions financières aux évolutions récentes des institutions territoriales.

Le livre blanc recommande en premier lieu de renforcer l’office du juge financier en améliorant le régime de responsabilité des gestionnaires publics et en simplifiant celui des comptables. Il est ainsi proposé de transférer la compétence de la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) pour juger la responsabilité des gestionnaires de fonds publics à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes (CRC). Les membres du Gouvernement et les élus locaux seraient ainsi attraits devant les juridictions financières lorsqu’ils seraient mis en cause pour des manquements au droit public financier, dans le cadre de leurs fonctions. Le régime de responsabilité des comptables publics pourrait également être simplifié, en substituant au régime actuel du débet ou de la somme non rémissible, une sanction financière unique et en supprimant le pouvoir de remise gracieuse du ministre du budget. En outre, devant l’apparence peu contraignante des observations et recommandations issues des juridictions financières, il est suggéré de doter celles-ci d’un véritable pouvoir d’injonction sous astreinte.

Dans un deuxième temps, le SJFU souhaite accentuer les pouvoirs des juridictions financières de contrôle de toutes les activités ayant recours à des fonds publics ou sociaux. Afin de faire évoluer les modalités de ce contrôle, le livre blanc propose d’instituer la publication régulière de rapports annuels et thématiques par les CRC, d’instaurer une procédure permettant, dès le lancement de l’instruction, d’entendre l’ensemble des parties prenantes d’une politique publique contrôlée et de créer les conditions permettant un contrôle unique d’un organisme et des structures qui lui sont liées. Il est par ailleurs proposé d’inscrire explicitement dans un texte la mission d’évaluation des politiques publiques locales parmi les compétences des CRC.

En dernier lieu, le SJFU appelle à développer des garanties supplémentaires pour l’indépendance des magistrats financiers. Il propose que le Conseil supérieur des chambres régionales des comptes soit organisé de manière paritaire et doté d’un pouvoir d’avis conforme. Il est également recommandé de créer une inspection générale pour l’ensemble des juridictions financières, indépendante du Premier président et n’intervenant pas dans la gestion des juridictions. Enfin, la composition du collège de déontologie pourrait être modifiée afin de renforcer les prérogatives de ce dernier.

Les textes adoptés par le Parlement

Les textes relatifs la confiance dans la vie politique adoptés par le parlement ne reprennent pas ces propositions et se contentent de répondre à l’émotion créée par l’affaire dite des emplois familiaux sans véritablement mettre en place un dispositif à même de restaurer la confiance dans la vie politique.

Le projet de loi organique impose aux candidats à l’élection présidentielle de remettre au Conseil constitutionnel, en sus d’une déclaration patrimoniale, une déclaration d’intérêts et d’activités. Il confie à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) la mission d’apprécier, par la publication d’un avis, l’évolution du patrimoine du Président de la République entre le début et la fin de son mandat.

Un nouveau système de prise en charge des frais de mandat parlementaire sera mis en place, remplaçant l’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM). Chaque assemblée parlementaire déterminera les règles relatives au remboursement de ces frais (prise en charge directe, remboursement sur présentation de justificatifs, versement d’une avance) ainsi que les modalités selon lesquelles l’organe chargé de la déontologie parlementaire contrôlera ces dépenses. Le projet de loi organique prévoit par ailleurs la suppression de la réserve parlementaire.

L’administration fiscale sera chargée de vérifier si les parlementaires ont respecté, au début de leur mandat, leurs obligations fiscales. Elle transmettra au bureau de chaque assemblée et à chaque parlementaire, dans le mois suivant la date de l’entrée en fonctions de l’intéressé, une attestation constatant s’il a satisfait ou non à ses obligations de déclaration et de paiement des impôts. En cas de manquement avéré, le Conseil constitutionnel pourra déclarer le parlementaire visé inéligible à toutes les élections pour une durée maximale de trois ans et démissionnaire d’office de son mandat. Le projet de loi ordinaire instaure également une peine complémentaire d’inéligibilité de dix ans pour les candidats aux élections législatives et sénatoriales, en cas de crimes ou d’infractions constitutifs d’un manquement à la probité, de faux administratifs, d’infractions en matière électorale ou de financement des partis, ou d’infractions fiscales.

Afin d’éviter les conflits d’intérêts, les parlementaires ne pourront plus exercer de prestations de conseil en cours de mandat. Le texte prévoit toutefois qu’un député ou sénateur qui a commencé ce type d’activités plus de douze mois avant son entrée en fonction pourra poursuivre celle-ci. Le projet de loi ordinaire donne à chaque assemblée le pouvoir de fixer ses propres règles en matière de prévention des conflits d’intérêts. Dans ce domaine, seront créés deux registres publics recensant, d’une part, les cas dans lesquels un parlementaire a estimé devoir ne pas participer aux travaux du Parlement en raison d’une situation de conflit d’intérêts, et, d’autre part, les cas dans lesquels un membre du Gouvernement a estimé ne pas devoir exercer ses attributions pour les mêmes raisons.

Il est prévu d’interdire aux membres du Gouvernement, aux parlementaires et aux titulaires de fonctions exécutives locales d’employer des membres de leur famille. Sont distingués les emplois destinés à « la famille proche » (conjoint, partenaire de pacs, concubin, parents et enfants ainsi que ceux du conjoint), qui deviendraient interdits et passibles de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, et les emplois pour les personnes appartenant à un cercle plus éloigné, qui devraient faire l’objet d’une déclaration à la HATVP ou auprès de l’organe de déontologie des assemblées parlementaires. Cette obligation déclarative est également prévue en cas d’emploi croisé (recrutement d’un collaborateur de la famille d’un autre élu ou ministre).

Les comptes des partis politiques seront contrôlés par la Cour des comptes. Dorénavant, les personnes morales, à l’exception des partis et groupements politiques ainsi que des établissements de crédit et sociétés de financement ayant leur siège social au sein de l’Union européenne, ne pourront ni consentir des prêts aux partis et groupements politiques ni apporter leur garantie aux prêts octroyés. Les personnes physiques ne pourront plus, quant à elles, consentir de prêts que si elles sont de nationalité française ou résident en France, et pour une durée qui ne pourra être supérieure à cinq ans. Enfin, seront créés un médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques, chargé de concourir « au financement légal et transparent de la vie politique », ainsi qu’une « Banque de la démocratie », chargée d’octroyer aux candidats, partis et groupements politiques, « en cas de défaillance avérée du marché bancaire », des prêts ou des garanties nécessaires au financement des campagnes électorales.

Les décisions du Conseil constitutionnel

Les deux projets de loi ont été déférés au Conseil constitutionnel les 9 et 10 août derniers.

Par ses décisions nos 2017-753 DC et 2017-752 DC du 8 septembre 2017, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la loi organique et la loi ordinaire pour la confiance dans la vie politique, dont il avait été saisi respectivement, d’une part, par le Premier ministre en application des articles 46 et 61, alinéa 1er, de la Constitution et, d’autre part, par plus de soixante députés en application de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution.

Ces deux lois comprennent plusieurs séries de mesures visant à renforcer la transparence de la vie politique, l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants et à moderniser le financement de la vie politique.

Outre la totalité des 27 articles de la loi organique qu’il lui revenait d’examiner en application de la Constitution, le Conseil constitutionnel a examiné les 13 articles de la loi ordinaire qui étaient contestés par le recours des députés. Il s’est également saisi d’office de deux articles de cette loi.

1° S’agissant de la loi organique

Le Conseil constitutionnel juge conformes à la Constitution les dispositions de la loi organique imposant aux candidats à l’élection présidentielle de lui remettre une déclaration d’intérêts et d’activités, rendue publique au moins quinze jours avant le premier tour de l’élection présidentielle. Il en va de même de celles prévoyant que la déclaration de situation patrimoniale établie avant le terme de ses fonctions par le Président de la République est rendue publique, assortie d’un avis de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique appréciant la variation de sa situation patrimoniale au cours du mandat.

Le Conseil constitutionnel juge constitutionnelles les dispositions organiques instituant une procédure de contrôle de la régularité de la situation fiscale des membres du Parlement, susceptible de le conduire, en certaines hypothèses, à déclarer le parlementaire ayant méconnu ses obligations inéligible à toutes les élections pour une durée maximale de trois ans et démissionnaire d’office de son mandat.

Il juge que le législateur organique a pu, sans porter une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée, ajouter à la liste des éléments devant figurer dans la déclaration d’intérêts et d’activités des membres du Parlement leurs participations directes ou indirectes leur donnant le contrôle d’une entité dont l’activité consiste principalement dans la fourniture de prestations de conseil.

Il juge que la nécessité de protéger la liberté de choix de l’électeur et l’indépendance de l’élu contre les risques de confusion ou de conflits d’intérêts justifie, eu égard aux risques spécifiques de conflits d’intérêts liés à ces activités, le choix du législateur organique d’exclure l’exercice par un parlementaire de la profession de représentant d’intérêts et de restreindre la possibilité d’exercer la profession de conseil.

Tout en déclarant conformes à la Constitution les dispositions organiques portant suppression de la pratique dite de la « réserve parlementaire », laquelle revient pour le Gouvernement à lier envers le Parlement sa compétence en matière d’exécution budgétaire, le Conseil constitutionnel juge qu’elles ne sauraient s’interpréter comme limitant le droit d’amendement du Gouvernement en matière financière. En revanche, il censure, au motif notamment qu’il porte atteinte à la séparation des pouvoirs, l’article 15 de la loi organique portant suppression de la pratique dite de la « réserve ministérielle », qui relève des seules prérogatives du Gouvernement.

2° S’agissant de la loi ordinaire

Le Conseil constitutionnel juge que ne méconnaît ni le principe de légalité des délits et des peines, ni le principe d’individualisation des peines, l’article 1er de la loi ordinaire instituant une peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité à l’encontre de toute personne coupable de crime ou de l’un des délits énumérés par le même article. Il admet que cette disposition est nécessaire au regard de l’objectif du législateur visant à renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants. Il juge cependant que ces dispositions ne sauraient être interprétées comme entraînant de plein droit, en matière délictuelle, l’interdiction ou l’incapacité d’exercer une fonction publique. En outre, il censure comme portant une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression les dispositions de cet article prévoyant que l’inéligibilité est obligatoirement prononcée pour certains délits de presse punis d’une peine d’emprisonnement.

S’agissant des conditions d’embauche et de nomination des collaborateurs du Président de la République, des membres du Gouvernement, des parlementaires et des titulaires de fonctions exécutives locales, le Conseil constitutionnel juge conformes à la Constitution les dispositions des articles 11, 14, 15, 16 et 17 de la loi ordinaire prévoyant des interdictions pour les responsables publics concernés d’employer des personnes avec lesquelles ils présentent un lien familial ou l’obligation de déclarer à la Haute autorité précitée ou, pour les membres du Parlement, au bureau et à l’organe chargé de la déontologie parlementaire de l’assemblée à laquelle ils appartiennent, des collaborateurs recrutés parmi des proches.

En revanche, faisant application de la jurisprudence par laquelle il avait énoncé une réserve d’interprétation sur les lois du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique, le Conseil constitutionnel censure, comme méconnaissant notamment la séparation des pouvoirs, les dispositions habilitant la Haute autorité à adresser aux personnes concernées une injonction, rendue publique, tendant à mettre fin à leurs fonctions en cas de conflit d’intérêts.

En matière de financement de la vie politique, le Conseil constitutionnel juge conforme aux exigences de l’article 38 de la Constitution l’article 30 de la loi ordinaire habilitant le Gouvernement à adopter par ordonnance les mesures nécessaires pour que les candidats, partis et groupements politiques puissent, à compter du 1er novembre 2018 et en cas de défaillance avérée du marché bancaire, obtenir les prêts, avances ou garanties requises pour financer les campagnes électorales nationales ou européennes, dès lors notamment que sont définis avec précision par le législateur la finalité et le domaine d’intervention des mesures envisagées.

En revanche, le Conseil constitutionnel censure comme contraire à la séparation des pouvoirs l’article 23 de la loi imposant au Premier ministre de prendre un décret sur la prise en charge des frais de représentation et de réception des membres du Gouvernement.

Il censure également les dispositions de la loi organique et de la loi ordinaire donnant à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique un droit de communication de certains documents ou renseignements reconnu précédemment à l’administration fiscale, faute que la communication de données de connexion permise par ces dispositions, qui est de nature à porter atteinte au respect de la vie privée de la personne intéressée, soit assortie de garanties suffisantes.

3° Le Conseil constitutionnel censure en outre comme « cavaliers législatifs », au motif qu’ils ne présentaient pas de lien, même indirect, avec les dispositions du projet de loi initial, l’article 2 de la loi organique relatif à la durée pendant laquelle un ancien membre du Gouvernement peut percevoir une indemnité, les dispositions de l’article 16 de la loi organique relatives à la déclaration de situation patrimoniale des membres du Conseil supérieur de la magistrature, l’article 23 de la même loi relatif au référendum local et l’article 7 de la loi ordinaire prévoyant la remise au Parlement d’un rapport sur le remboursement des indemnités perçues par certains fonctionnaires au cours de leur scolarité.