De nombreux collègues ont vécu de façon extrêmement intense les différents soubresauts du projet de loi portant réforme des juridictions financières, jusqu’à sa mise en œuvre partielle voire partiale.  Nombreux sont aussi, désormais, les collègues qui n’étaient pas encore dans les chambres à cette époque. Aussi convient-il de rappeler, alors que nous réfléchissons à un livre blanc sur l’avenir des juridictions financières, que ce projet devait unifier les chambres régionales des comptes  et la Cour des comptes, créer des chambres interrégionales des comptes, et renforcer le rôle de tous les magistrats financiers en matière d’évaluation des politiques publiques.

Après son examen au Conseil d’Etat, le projet de loi portant réforme des juridictions financières  a été  adopté en Conseil des ministres le 28 octobre 2009. Texte alors très attendu, d’ampleur considérable, il devait unifier les chambres régionales des comptes et la Cour des comptes en une seule entité, les CRC devenant de simples chambres de la Cour. Dans ce cadre, des chambres interrégionales des comptes devaient voir le jour. Il s’agissait, notamment, pour le Premier président d’alors, d’atteindre la masse critique permettant une spécialisation des magistrats et d’homogénéiser leurs méthodes afin de favoriser des comparaisons entre collectivités territoriales.

Si les auteurs de ce texte affirmaient que l’examen de gestion des collectivités locales conserverait toute son importance, le projet de loi visait clairement à conforter le travail de tous les magistrats en matière d’évaluation des politiques publiques. Par ailleurs, il faisait de la Cour des comptes la juridiction unique en matière de surveillance et de sanction de la discipline budgétaire et financière. Il créait une juridiction d’appel, ainsi qu’un tribunal de cassation financier. Enfin, une expérimentation de la certification des comptes des collectivités locales par la Cour devait être lancée avec des collectivités volontaires.

Le projet initial a fait l’objet d’une discussion en commission des lois de l’Assemblée nationale. Celle-ci l’a profondément modifié. La réforme devenant impossible, aux yeux du Gouvernement, la décision fut prise de l’abandonner pour l’essentiel et d’incorporer quelques éléments de celle-ci dans un autre texte devenu la loi du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles. Depuis lors, d’autres dispositions du projet de loi ont été introduites à l’occasion d’examen de projets législatifs connexes à nos missions, notamment celui de la loi Déontologie, droits et obligations des fonctionnaires :

1) Une unité organique de l’ensemble des juridictions financières

L’article 5 du projet visait à établir l’unité organique de l’ensemble des juridictions financières. Autrement dit, il était proposé d’unifier Cour et chambres régionales des comptes pour en faire une seule et même entité. Les chambres régionales des comptes devaient cesser d’être des juridictions autonomes et devaient devenir des composantes de la Cour, au même titre que ses actuelles chambres. Elles devaient prendre le nom de chambres des comptes. La programmation, les méthodes et la conduite des contrôles concernant les politiques partagées devaient ainsi être unifiées. «Les contrôles seraient ainsi plus homogènes et mieux ciblées», faisaient alors valoir les auteurs du projet de loi. Mais, précisaient-ils, «cela ne remettrait nullement en cause le traditionnel contrôle organique, l’examen de gestion, qui garderait toute son importance». La commission des loi de l’Assemblée nationale s’est prononcée contre cette unité organique.

L’article 2 du projet de loi concernait d’ailleurs la compétence que devait exercer la Cour des comptes dans le contrôle organique des principaux acteurs locaux, dénommé à l’heure actuelle, pour quelques mois encore, «examen de gestion», et «qu’il s’agit (indiquait l’exposé des motifs) de consacrer et de renforcer davantage compte tenu de son importance dans le fonctionnement harmonieux d’une république désormais décentralisée». Les procédures applicables en la matière, de même que les modalités de mise en œuvre de cette compétence devaient être fixées par ordonnance. On se souvient à cet égard que, récemment, le projet initial d’ordonnance n° 2016-1360 du 13 octobre 2016 modifiant la partie législative du code des juridictions financières introduisait de façon subreptice une disposition prévoyant une telle extension des compétences de la Cour aux dépens de celles des chambres régionales et territoriales des comptes. Notre organisation syndicale avait obtenu le retrait de cette disposition.

Le projet de loi proposait la création de chambres interrégionales, visant «à constituer des équipes ayant la masse critique pour mener des travaux complexes et divers, et permettre aux magistrats de se spécialiser». Il s’agissait également «de favoriser l’homogénéité des méthodes de contrôle, de rendre plus faciles les comparaisons entre collectivités, et de conduire à des économies d’échelle par la mutualisation des moyens et des fonctions support». Nous avons connu depuis lors les normes professionnelles (1), le centre d’appui méthode (CAM) et le regroupement des chambres (2), lesquelles ont vu leurs moyens humains d’appui se réduire considérablement à cette occasion, au risque de conduire les magistrats à effectuer des tâches administratives auparavant assurées par un secrétariat dédié.

La détermination des ressorts interrégionaux devait relever du pouvoir réglementaire, ce qui a finalement été décidé (2). Il était précisé, par ailleurs, que les futures chambres régionales pourraient comporter des antennes régionales, implantées dans les sièges des CRC, «afin de favoriser les transitions». Il était également proposé de créer un cadre statutaire unique et commun aux magistrats exerçant au siège et en région. Ces deux projets de dispositions sont en revanche restés lettre morte.

2) Une fonction d’évaluation des politiques publiques affirmée

L’article 3 du projet de loi portait sur l’évaluation des politiques publiques. «La légitimité de l’auditeur en matière d’évaluation doit être plus affirmée», estimaient les auteurs de ce texte. «La répartition actuelle des compétences entre la Cour et les chambres régionales, ainsi que les modalités de programmation, cloisonnées, ne permettent pas d’organiser efficacement, et de façon homogène, l’évaluation des politiques conduites, tant au niveau national que local», était-il constaté. «La conduite d’une enquête commune aux deux niveaux de juridiction prend au moins deux ans. Son organisation est tributaire du choix de chaque CRC, juridiction autonome, de participer ou non au travail en commun. Ceci rendait difficile pour la Cour des comptes de répondre aux demandes d’évaluation, lorsque celles-ci portaient sur des politiques dont la mise en œuvre était en partie décentralisée, ce qui recouvre désormais les cas les plus nombreux et les plus importants». Ont depuis lors été créées les formation inter juridictions (3), puis, plus récemment, à la demande de notre organisation syndicale, la distinction entre FIJ1 et FIJ2 (4).

Le projet de loi décrivait également, dans son exposé des motifs, des ressorts régionaux actuels trop nombreux et trop dissemblables. «Souvent trop restreints, ils ne donnent pas les éléments de comparaison nécessaires, spécialement pour les grandes collectivités.». Il ont ultérieurement été limité à 20 puis à 13 en métropole (2).

3°) La Cour des comptes juridiction budgétaire et financière unique

Le I de l’article 1 du projet de loi faisait de la Cour des comptes la juridiction unique en matière de surveillance et de sanction de la discipline budgétaire et financière. Une juridiction unique de laquelle aurait relevé, en plus des comptables, les ordonnateurs, et gestionnaires, qui sont aujourd’hui du ressort de la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF). «La situation actuelle est en effet celle d’une responsabilité de plus en plus partagée entre l’ordonnateur et le comptable public, tant en termes de tenue des comptes qu’en termes de contrôle de la dépense», indiquait l’exposé des motifs du projet de loi. «Dès lors, la dualité actuelle des juridictions (Cour des comptes pour les comptables, CDBF pour les ordonnateurs), ne se justifie plus» affirmaient les auteurs du projet de loi. Cette unification devait permettre en outre «d’accroître la cohérence, la transparence et la lisibilité des mécanismes de sanction vis-à-vis de l’administration, du parlement, et de l’opinion publique».

Le 1 de l’article 6 devait instituer une cour d’appel des juridictions financières, afin que l’ensemble des justiciables se voit reconnaître la possibilité d’accéder à un juge d’appel. Un tribunal de cassation financier devait être également institué «pour assurer sur l’ensemble des juridictions financières l’homogénéité de jurisprudence souhaitable». Cette proposition avait vivement été contestée par le Conseil d’Etat, seul habilité, selon lui, à casser une décision de la Cour des comptes, juridiction administrative.

La responsabilité des ordonnateurs locaux et nationaux, à l’exception des ministres, qui devaient devenir justiciable de la Cour des comptes (et non plus uniquement de la Cour de discipline budgétaire et financière)  dans le projet de loi de 2009 relatif à la réforme des juridictions financières a été l’objet d’une tentative de sauvetage partiel par amendement lors de l’examen du projet de loi relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles. Le dispositif faisait l’objet d’un article 24 quater qui fut en définitive expurgé de la loi lors de sa lecture à l’Assemblée nationale.

4°) Expérimentation de la certification des comptes des collectivités

Le 1 de l’article 4 de ce projet consacrait le rôle de la Cour des comptes dans le processus de certification des comptes publics. Il était proposé que la Cour coordonne une expérimentation légale de la certification des comptes des collectivités locales, qui devait être menée avec certaines collectivités volontaires. Ce projet a finalement pris corps avec l’article 110 de la loi NOTRé (5). Une telle expérimentation devait  impliquer un certain nombre de conditions préalables, qui devaient être précisées, comme l’établissement d’un compte financier unique, l’adoption de référentiel de normes comptables, le développement du contrôle interne, ce qui – déjà – justifiait un commencement de mise en œuvre de cette mesure différé de trois ans après la promulgation de la loi.

Le Conseil d’Etat avait alors rappelé que l’activité de certification des comptes des administrations autres que l’Etat constitue une activité marchande, qui doit respecter les règles de la commande publique et de la libre prestation de services. Au terme de l’expérimentation, la Cour des comptes était appelée à proposer ses services de certification aux administrations publiques autres que l’Etat dans le respect de ces obligations et, notamment, en respectant leur liberté de choix et en assurant la facturation de ses travaux dans les conditions du marché.

En définitive, seules la responsabilité des gestionnaires et l’unité organique des juridictions financières, y compris dans son volet statutaire, nécessitent encore aujourd’hui une attention soutenue.

Notes:

  1. Article 38 de la loi relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles du 13 décembre 2011;
  2. L’article 46 de la loi relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles du 13 décembre 2011 limite à vingt le nombre de chambre régionale des comptes (CRC) et renvoie à un décret en Conseil d’État le soin de fixer leurs sièges et leurs ressorts. Dès 2012, les juridictions financières avaient engagé une réforme du périmètre des CRC en métropole, les faisant passer de 22 à 15. La loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République a ramené ce nombre à 13 depuis le 1er janvier 2016 ;
  3. Article 40 de la loi relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles du 13 décembre 2011;
  4. Ordonnance n° 2016-1360 du 13 octobre 2016 modifiant la partie législative du code des juridictions financières prise en application de la loi Déontologie, droits et obligations des fonctionnaires;
  5. Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.