Oui à la responsabilité des gestionnaires publics… mais aussi au niveau local !

 

 

 

L’audience solennelle de rentrée de la Cour des comptes, qui s’est tenue le 22 janvier, a été l’occasion pour le Président de la République d’exprimer sa conception des juridictions financières. Il a notamment souhaité « ouvrir une réflexion sur la responsabilité des ordonnateurs et l’évolution de la Cour de discipline budgétaire et financière » dès lors « qu’il n’y a pas d’action publique efficace s’il y a une dilution de la responsabilité ». Il partage ainsi la position du Premier président qui a déclaré que « le dispositif actuel de mise en jeu des responsabilités n’est pas adapté » et que la Cour de Discipline Budgétaire et Financière (CDBF) « doit pouvoir juger de la régularité des décisions au regard de la loi et garantir que nul ne peut s’exonérer de sa responsabilité en la matière ». Tous deux ont insisté sur le fait que l’ambition politique de restaurer la confiance dans la vie publique ne serait pas complète « sans la refondation – attendue de longue date – des mécanismes de responsabilité des gestionnaires ». Pour le Président de la République comme pour le Premier président, la « plus grande responsabilité au quotidien des actes de gestion » constitue le corolaire de « l’évolution du régime de responsabilité pour les ministres (…) avec une suppression de la Cour de justice de la République ».

Le Premier président a réitéré ce message quatre jours plus tard, lors de l’audience de rentrée de la CRC de Provence-Alpes-Côte-d’Azur le 26 janvier, en affirmant que « la première ambition poursuivie par les juridictions financières est celle du respect de la régularité et de la probité ».

Le Président de la République et le Premier président rejoignent le constat du SJFu selon lequel la responsabilité administrative et financière des gestionnaires publics pour des fautes de gestion graves ou répétées, demeure l’échelon manquant du système de régulation de la démocratie locale entre les recommandations de gestion déjà formulées par les juridictions financières, les observations définitives rendues publiques et la sanction pénale des dysfonctionnements les plus graves. Le chef de l’Etat a souligné que les citoyens ne comprenaient plus cette situation qui, « ces dernières décennies, a conduit, collectivement, à l’évolution de notre système en créant une forme d’irresponsabilité relative du quotidien, pour finir tous et toutes dans une forme de responsabilité pénale intenable, pour chacun. Ce système, si nous le laissons prospérer, conduira au triomphe des prudents, peut-être même des inefficaces, parce que ça n’est qu’une prime qu’à cela ».

Le SJFu se réjouit de cette dynamique convergente esquissée par le Président de la République, le Premier président et depuis longtemps par le Procureur général, mais seulement si elle tient compte du principe de subsidiarité et aboutit à renforcer les CRTC.

Cette nuance s’inscrit dans le sens de l’histoire. D’une part en raison de l’effacement du contrôle préfectoral de légalité qui accroît par contraste le rôle des CRTC dans la chaîne de contrôle de la gestion locale. D’autre part en miroir de la volonté du chef de l’Etat, réitérée lors de l’audience de rentrée, d’autoriser les collectivités territoriales à expérimenter des dispositifs réglementaires dérogatoires. Les CRTC sont au bon niveau pour contrôler l’émergence de cette spécialisation locale.

Cette cohérence est même cruciale pour l’avenir des juridictions financières et doit être replacée dans son contexte. L’expérimentation de la certification des comptes des hôpitaux puis des collectivités territoriales qui apparaît avoir pour seul but de justifier sa généralisation, d’une part ; la création du compte financier unique qui va inévitablement questionner à moyen terme la pérennité de la séparation ordonnateur / comptable et donc du jugement des comptes, d’autre part, posent une question existentielle : quel sera le positionnement institutionnel des CRTC dans dix ans ? des cabinets d’audits ou de commissaires aux comptes en concurrence avec les cabinets privés ? des contrôleurs de second rang se concentrant sur l’architecture du système, ainsi que l’entrevoit le Procureur général ? des sous-traitants de vastes évaluations pilotées par la Cour des comptes et contribuant à nourrir de plus en plus largement les publications de celle-ci ? ou des juridictions affermies dotées d’un pouvoir de sanction complémentaire du contrôle des comptes et de la gestion, c’est-à-dire d’un pouvoir réel et complet d’audit de l’emploi des fonds publics ? Le SJFu regrette l’absence de réflexion collective sur ces questions au sein des juridictions financières, alors que notre institution se trouve à la croisée des chemins.

Le Livre Blanc des juridictions financières, publié en juillet 2017, s’efforce de l’initier en mobilisant toute l’expertise et le recul des magistrats quotidiennement confrontés aux réalités de la République décentralisée. Le SJFu est attaché au statut de juridiction des CRTC, d’ailleurs imposé par les élus locaux en 1983, parce qu’il constitue la meilleure garantie d’indépendance, d’objectivité et donc de crédibilité pour les contrôlés comme pour les citoyens. Il croit également en la pertinence de l’échelon local du contrôle, bien adapté aux enjeux territoriaux des collectivités et entités contrôlées. Le Livre Blanc en tire les conséquences et promeut le renforcement du rôle des CRTC comme garants de la démocratie locale en proposant de leur conférer une capacité effective à sanctionner les dysfonctionnements majeurs, de les doter de la faculté de conduire des enquêtes à l’échelle d’un « écosystème territorial » et de publier sur celles-ci des rapports transversaux accessibles aux citoyens. A l’instar du Procureur général, nous restons convaincus que « la mise en jeu de responsabilités personnelles est un puissant levier de protection des intérêts de la société, de lutte contre les dérives dans le bon emploi des fonds publics, ou encore de transformation de l’État ».

Le succès d’initiatives locales comme les rencontres entre les magistrats de la CRC Auvergne-Rhône-Alpes, les magistrats judicaires de Grenoble et Chambéry, et les services de la répression des fraudes de Lyon qui se sont tenues les 8 et 9 février, ou d’initiatives syndicales comme les rencontres professionnelles du 19 janvier avec le SNDGCT, confortent notre conviction. Elles révèlent les attentes placées par les autres magistrats et fonctionnaires assermentés dans une coopération accrue avec les CRTC ; elles reflètent notre rôle incontournable de contre-pouvoir local pour assurer le bon emploi des fonds publics et la vitalité de la démocratie locale. La présence lors de la première rencontre du Procureur général et de la Direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice, traduit à nos yeux l’enjeu national que revêt la cohérence de la chaîne locale de contrôle. Si un maillon est ôté, la chaîne se disloque. Le SJFu souhaite donc que les CRTC assument pleinement leur rôle régalien à l’échelon local.


La France demeure sous la surveillance de la Commission européenne

La procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques (PDM) de l’Union européenne vise à déceler les déséquilibres qui entravent le bon fonctionnement des économies des États membres et à formuler des recommandations. La Commission désigne les États membres qui devraient faire l’objet de bilans approfondis afin de déterminer s’ils sont touchés par des déséquilibres nécessitant l’adoption de telles mesures après avoir pris connaissance d’un tableau de bord d’indicateurs assorti de seuils indicatifs et d’indicateurs auxiliaires.

Au regard de ce tableau de bord, la France connait toujours des déséquilibres macroéconomiques excessifs, avec notamment une dette publique élevée et croissante, conjuguée à une faible croissance de la productivité et à une compétitivité dégradée. Un certain nombre d’indicateurs dépassent encore le seuil indicatif, à savoir la dette publique, la dette du secteur privé, le chômage et l’évolution du chômage à long terme. Les indicateurs de déséquilibres externes et de compétitivité se sont largement stabilisés, comme le reflètent une balance courante proche de l’équilibre, le ralentissement des pertes cumulées de parts de marché à l’exportation, qui sont désormais en deçà du seuil, ainsi que la croissance maîtrisée des coûts salariaux unitaires. Cependant, la faiblesse de la croissance de la productivité du travail est un facteur de risque pour l’évolution des coûts salariaux unitaires. La dette publique, dont le niveau élevé ne cesse d’augmenter et devrait encore croître dans les années à venir, selon les prévisions, reste une source majeure de vulnérabilité. Le faible potentiel de croissance et la faible inflation aggravent les risques liés à la dette publique élevée en rendant plus difficile le désendettement. La dette du secteur privé dépasse le seuil, mais les pressions de désendettement semblent contenues. Les prix réels des logements ont amorcé une lente correction, et les crédits du secteur privé se sont stabilisés à des niveaux légèrement positifs.

Au troisième trimestre 2016, le taux de chômage en France progresse de 0,1 point sur trois mois, à 9,7% en métropole, soit 2,8 millions de personnes au chômage (au sens du BIT) dans un contexte de faible croissance. Un chiffre toutefois en baisse sur un an, avec 0,4 point de moins qu’au troisième trimestre 2015. Le chômage touche particulièrement les jeunes, les ressortissants de pays tiers et les travailleurs peu qualifiés. La dualité du marché du travail ne cesse d’augmenter, avec d’un côté, les travailleurs diplômés de l’enseignement supérieur embauchés en contrats à durée indéterminée et de l’autre, une proportion constante de travailleurs occupant des emplois peu qualifiés de plus en plus précaires. La hausse du chômage de longue durée s’est poursuivie.

Dans l’ensemble, la lecture économique du tableau de bord met en lumière des problèmes liés principalement à des déséquilibres intérieurs, notamment l’endettement public dans le contexte d’une faible croissance de la productivité et d’une faible compétitivité. La Commission juge donc utile, compte tenu également du déséquilibre excessif, d’examiner plus avant la persistance de risques macroéconomiques et de suivre les progrès réalisés dans la correction des déséquilibres excessifs. La France demeure donc sous la surveillance de la Commission européenne.

Pour en savoir davantage:

Rapport sur le mécanisme d’alerte 2017

Annexe statistique

 


Déficits excessifs : La France bénéficie d’un traitement privilégié

Dans un rapport rendu public le 19 avril, la Cour des comptes européenne a examiné la mise en œuvre de la procédure concernant les déficits excessifs (PDE) par la Commission entre 2008 et 2015 en se concentrant sur six États membres : Chypre, Malte, la République tchèque, l’Allemagne, l’Italie et la France. Notre pays reste soumis à la PDE après trois prolongations du délai accordé. Il est le seul État membre de cet échantillon dont le déficit dépassait encore le seuil des 3 % en 2015. Sa dette publique représentait 68,1 % de son PIB en 2008. Au cours de la période 2009-2015, il a enregistré une augmentation constante de son taux d’endettement, soit 28,3 points.

La Cour s’est penchée sur l’évaluation, par la Commission, de la qualité des données PDE des États membres et sur la qualité de ses propres données prévisionnelles et modèles de projection, et a cherché à déterminer si ses analyses étaient en phase avec les décisions de lancement d’une procédure prises par le Conseil. Elle a enfin examiné comment la Commission assurait le suivi des mesures correctrices prises par les États membres soumis à une procédure concernant les déficits excessifs. Ses analyses ont notamment mis en exergue le traitement privilégié accordé à la France.

La procédure concernant les déficits excessifs

Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit, comme principe de base de la politique budgétaire, que les États membres doivent éviter les déficits publics excessifs. En conséquence, lorsque les valeurs de référence en matière de déficit et de dette publics sont dépassées, un mécanisme correcteur peut-être déclenché à l’encontre de l’État membre concerné. Ce mécanisme, appelé procédure concernant les déficits excessifs, est un élément essentiel du cadre de gouvernance économique de l’Union européenne.

Le rôle de la Commission dans la mise en œuvre de la procédure concernant les déficits excessifs consiste à vérifier la qualité des données notifiées par chaque État membre, à déterminer si les seuils de référence ont été dépassés ou risquent de l’être, et, sur cette base, à adresser des avis et des recommandations au Conseil pour qu’il agisse en conséquence. Ce dernier décide ensuite, conformément aux dispositions du traité, s’il convient ou non d’adopter les recommandations de la Commission.

Les États membres faisant l’objet d’une procédure concernant les déficits excessifs se voient présenter des recommandations pour remédier à la situation, qui prévoient un délai et une trajectoire pour ce faire et qui précisent l’effort budgétaire annuel à fournir. La Commission surveille la mise en œuvre des mesures correctrices par les États membres et rend compte de ses observations au Conseil, qui, sur la base des propositions de la Commission, prend, le cas échéant, de nouvelles mesures (levée de la procédure, prolongation du délai, fixation de nouveaux objectifs ou imposition de sanctions).

Source: Cour des comptes européenne.

 

Le manque de transparence constitue un problème récurent. En effet, malgré les améliorations apportées ces dernières années, il n’y a toujours pas assez d’informations disponibles sur les hypothèses et les paramètres de la Commission concernant les données ni sur son interprétation des concepts clés. À cet égard, le document de travail sous-tendant la recommandation de la Commission de prolonger le délai accordé à la France dans le cadre de la PDE en février 2015 ne contenait pas, selon la Cour, d’informations à l’appui du scénario de référence ni une quelconque précision sur les mesures discrétionnaires supplémentaires concernant les recettes, alors que ces données sont essentielles pour reproduire l’évaluation du caractère effectif de l’action engagée, qui a conduit à cette prolongation. De plus, la Commission peut décider de s’écarter de la procédure établie, même là où elle a défini des règles internes claires, ce qui conduit à s’interroger sur la validité de ses évaluations. Dans celles concernant la France, la Commission a ainsi fait usage de la grande souplesse et du grand pouvoir d’appréciation consentis par les règles du pacte de stabilité et de croissance (PSC). Faute de définition et d’orientations, la Commission a considéré la faible croissance de la France en 2013 comme un « événement négatif et inattendu », ce qui, selon la Cour, semble difficile à justifier.

La Cour a constaté qu’au niveau de la Commission, la plupart des aspects de la collecte et de l’analyse des données ainsi que de l’évaluation du respect de la réglementation relative à la discipline budgétaire font l’objet de procédures et de lignes directrices détaillées. En revanche, elle estime que la mise en œuvre de ces tâches est problématique. Selon elle, la Commission n’a pas fait pleinement usage de ses pouvoirs pour imposer la fourniture de données complètes et la mise en œuvre des mesures correctrices recommandées. Elle ne parvient pas toujours à fournir un retour d’information approprié sur les rapports des États membres. Elle est soumise à l’insuffisance des ressources consacrées à l’analyse des données clés et à l’établissement de rapports les concernant, ainsi qu’aux déficiences affectant l’enregistrement de ces données. La Cour estime ainsi que les montants reçus en France par une unité publique pour prendre en charge les coûts de démantèlement des installations nucléaires de Marcoule (1,6 milliard d’euros, soit 0,1 % du PIB, pour 2004) n’étaient pas suffisamment documentés. De même elle considère que les administrations publiques françaises ne sont pas recensées de façon exhaustive. Il est vrai que les seules administrations publiques locales comptent plus de 80 000 unités.

Dans le domaine du suivi des réformes structurelles, aspect des mesures correctrices que la Commission a récemment qualifié de crucial pour sortir d’une situation de déficit excessif, des signes donnent à penser que la Commission ne va pas assez loin en se concentrant essentiellement sur les aspects législatifs plutôt que sur la mise en œuvre effective des réformes. Quant à la procédure concernant les déficits excessifs, elle continue à accorder une attention excessive au critère du déficit au détriment de celui de la dette. Ainsi, dans le cas de la France, soumise à une PDE depuis 2009, le critère de la dette ne s’appliquera, selon le règlement (CE) n° 1467/97, que lorsqu’elle sortira de la PDE, soit au plus tôt en 2018. La France est censée respecter le critère de la dette au terme d’une période transitoire de trois ans à partir de la levée de la PDE, à savoir en 2020. Toutefois, vu que son taux d’endettement a atteint 96,5 % en 2015, la Cour estime peu probable qu’elle y parvienne.

La Cour considère que l’analyse qui sous-tend la prolongation, en mars 2015, du délai accordé à la France dans le cadre de la PDE, sur la base des prévisions de l’hiver 2015, n’était pas totalement transparente.  Une première évaluation descendante de la Commission a montré qu’en France (où le délai prolongé de la PDE était fixé à fin 2015), l’effort structurel était insuffisant aussi bien pour 2013 que pour 2014, mais que l’effort structurel ajusté progressait comme prévu. Conformément aux règles, une analyse ascendante a également été réalisée pour confirmer si l’État membre avait engagé une action suivie d’effets : «dans l’ensemble, les éléments de preuve disponibles ne permettent pas de conclure que l’effort recommandé n’a pas été réalisé en 2013-2014». Cette seconde analyse a toutefois montré que l’effort structurel était en deçà des recommandations du Conseil (en d’autres termes, l’incidence budgétaire des nouvelles mesures discrétionnaires était insuffisante), et ce pour les deux années concernées.

Pour 2015, dernière année de la période couverte par le PDE, la Commission a prévenu qu’un ensemble conséquent de mesures s’ajoutant à celles déjà précisées serait nécessaire pour que l’objectif soit atteint. En réalité, la France a manqué ce dernier. L’évaluation de l’incidence des mesures en matière de recettes étant une projection, et non une analyse a posteriori, elle a été trop optimiste par rapport aux effets réels. Comme l’évaluation de l’incidence des mesures en matière de dépenses est effectuée par la Commission par rapport à l’hypothèse de «politiques inchangées», elle ne relève que d’un jugement d’expert. Par ailleurs, le calcul de l’effort structurel tenait compte des effets d’une mesure discrétionnaire en matière de recettes qui, étant de nature temporaire (incidence financière de 2014 à 2016), n’aurait pas dû être prise en considération. La mesure en question (cf. supra) représentait 0,1 % du PIB. Sans elle, l’effort structurel n’aurait pas atteint le niveau de 1,1 % requis pour justifier une prolongation du délai accordé dans le cadre de la PDE.

La Commission ayant rétrospectivement considéré que la France respectait les exigences, a invoqué ce respect pour justifier la prolongation du délai afin de permettre de ramener le déficit sous le seuil fixé à un rythme plus détendu. Cependant, cette évaluation se fondait uniquement sur des données concernant 2013 et 2014. Les prévisions disponibles pour 2015, qui indiquaient que la France n’atteindrait pas ses objectifs, n’ont pas été prises en considération dans l’évaluation de la Commission. Au lieu de prolonger le délai, la Commission aurait donc dû adresser un message d’alerte rapide (en émettant une recommandation autonome) ou renforcer la procédure.

L’évaluation du caractère effectif de l’action engagée est censée déboucher sur un renforcement de la procédure si l’État membre n’atteint pas tous les objectifs (déficit nominal, effort structurel, effort structurel ajusté et indicateur ascendant) ou si les prévisions montrent qu’il ne les atteindra pas. Cependant, la Cour a constaté que tel n’était pas le cas pour les évaluations continues (le «suivi régulier») dont la France a fait l’objet à l’occasion des prévisions du printemps et de l’automne 2014: la procédure n’a pas été renforcée, alors que ce pays n’atteignait aucun de ses objectifs. La France est le seul État membre de l’échantillon à avoir bénéficié de cette faiblesse de l’évaluation continue.

En conclusion, la Cour considère comme des signes très positifs les efforts déployés par la Commission au fil des ans pour adapter et rationaliser la procédure concernant les déficits excessifs, en réponse à l’évolution de la situation dans l’UE. La base législative est bonne et est généralement étayée par des règles internes et des lignes directrices claires. Ce qui fait défaut, c’est la transparence dans l’application de ces règles, étant donné que la Commission n’enregistre pas ses hypothèses sous-jacentes de manière appropriée et ne partage pas suffisamment les conclusions de sa surveillance pour le plus grand bénéfice de tous les États membres. La Cour montre ainsi comment la France, réticente à mettre en œuvre les recommandations formulées au titre de la PDE et à respecter la discipline budgétaire, a bénéficié de ce manque de transparence. La Commission a reconnu ces faiblesses et a indiqué qu’elle était disposée à apporter les améliorations nécessaires.

Pour en savoir davantage:

Rapport spécial de la Cour des comptes européenne n° 10/2016: De nouvelles améliorations sont nécessaires pour assurer une mise en oeuvre efficace de la procédure concernant les déficits excessifs


COMMENT CORRIGER LES DÉSÉQUILIBRES MACRO-ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE

A la suite de ses récentes prévisions économiques, la Commission européenne a rappelé aux États membres, dans une communication du 8 mars sur le semestre européen 2016,  la nécessité de prendre les mesures qui s’imposent pour respecter leurs obligations au titre du pacte de stabilité et de croissance (PSC). Ce rappel s’appuie sur des bilans approfondis sur la prévention et la correction des déséquilibres macroéconomiques de chaque Etat membre dont la lecture permet d’éclairer les attentes de la Commission vis à vis de chacun d’entre eux, même s’il s’agit de documents de travail ne l’engageant pas.

La lecture du rapport 2016 pour la France livre ainsi les recommandations non officielles des fonctionnaires de la Commission visant à corriger les déséquilibres macro-économiques de notre pays. Il est notamment reproché à la France une réduction du déficit public plus lente que le reste de la zone euro, des dépenses publiques peu efficaces, une faible compétitivité, un alourdissement de sa fiscalité et un marché du travail problématique.

Selon ce rapport, la croissance française devrait rester modérée, l’investissement ne devant redémarrer que progressivement et les exportations nettes devant continuer de la freiner. Après trois ans de faible activité, la croissance du PIB a augmenté pour atteindre 1,1 % en 2015, soutenue par des facteurs exogènes favorables. Elle a en particulier bénéficié de la baisse des prix du pétrole, de la dépréciation de l’euro et des mesures prises par les autorités pour réduire le coût du travail et renforcer la compétitivité. L’économie française devrait connaître progressivement une nouvelle accélération, tirée par la consommation privée portée par le dynamisme du pouvoir d’achat des ménages. Le taux de croissance de la France reste toutefois inférieur à la moyenne de la zone euro. Ces dernières années, la croissance du PIB a été freinée par les investissements. La reprise de l’investissement ne devrait se faire sentir qu’en 2017 car les mesures prises par les autorités pour réduire le coût du travail et stimuler la compétitivité ne devraient pas permettre de renforcer immédiatement la confiance des entreprises. L’inflation est tombée à 0,1 % en 2015 et ne devrait augmenter que légèrement pour atteindre 0,6 % en 2016. En outre, le ralentissement de l’activité sur les marchés émergents et les récents remous sur les marchés financiers pourraient assombrir les perspectives économiques.

Si la France a vu sa balance courante s’améliorer dernièrement, les auteurs du rapport estiment que sa compétitivité reste néanmoins source d’inquiétude. La contribution des exportations nettes au PIB a été négative ces dernières années et devrait le rester jusqu’en 2017. La soutenabilité de la dette extérieure est moins préoccupante pour la France. La faible compétitivité tient, d’une part, à des facteurs coût, en partie imputables à des hausses cumulées des salaires réels dans un contexte de faible croissance de la productivité, et, d’autre part, à des facteurs hors coût, liés en particulier à la réduction des marges bénéficiaires antérieures et à l’impact de ce phénomène sur les stratégies d’investissement.

Depuis le début de la crise, la France a été plus lente dans la réduction de son déficit que le reste de la zone euro, d’où le contraste observé en matière d’évolution de la dette. Le déficit et la dette des administrations publiques, qui devaient se situer respectivement à 3,7 % et 96,2 % du PIB en 2015, restent élevés. Le ratio de la dette publique au PIB continue d’augmenter dans l’Hexagone, alors qu’il recule dans la zone euro. En outre, l’environnement économique, caractérisé par un fléchissement de la croissance potentielle et une faible inflation, rend plus difficile la réduction de l’endettement public.

À long terme, la croissance devrait rester faible, étant donné que la croissance potentielle de la France a ralenti depuis la crise financière de 2008. Selon les estimations, la croissance potentielle du PIB s’établira à 1,0 % en moyenne entre 2009 et 2017 contre 1,8 % en moyenne entre 2000 et 2008. Les rigidités du marché du travail et celles du marché des produits, ainsi que les lenteurs dans la réaffectation des ressources et l’adoption des technologies, limitent la croissance de la productivité totale des facteurs. L’accroissement de la productivité a également été freiné par la charge réglementaire qui pèse sur les entreprises françaises et par les effets de seuil. La charge fiscale globale qui pèse sur l’économie continue de s’alourdir et sa composition n’est pas propice à la croissance. La croissance potentielle est également fortement tributaire des qualifications de la main-d’oeuvre et de la capacité d’innovation de l’économie française, qui est moins dynamique que celle de certains de ses principaux concurrents.

Le taux de chômage, qui atteignait 10,5 % en 2015, ne devrait pas diminuer à court terme. Ce taux élevé est une conséquence indirecte des déséquilibres dont souffre la France. La reprise qui reste progressive et le taux de croissance dynamique de la population active font que les mesures prises par les autorités pour réduire le coût du travail risquent de n’avoir qu’un impact limité sur l’emploi jusqu’en 2017. En outre, la structure du marché du travail paraît de plus en plus segmentée et les inégalités en matière d’éducation se creusent. Les demandeurs d’emploi ne se voient offrir qu’un accès limité à la formation; la possibilité pour les travailleurs peu qualifiés de suivre un apprentissage diminue et les résultats des jeunes en difficulté scolaires sont en baisse.

Les auteurs du rapport reconnaissent cependant que la France a accompli certains progrès dans la mise en oeuvre des recommandations spécifiques par pays de 2015. Au cours de l’année écoulée, un accord conclu entre les partenaires sociaux a consolidé la viabilité à long terme des régimes de retraite complémentaire et le cadre budgétaire pour les collectivités locales a été renforcé. Les mesures prises par les autorités pour réduire le coût du travail sont mises en oeuvre comme prévu, même si elles risquent de n’avoir qu’un effet ponctuel sur la compétitivité de l’économie française si elles ne sont pas assorties d’une série de mesures en faveur du marché du travail visant en particulier à réformer le mécanisme de formation des salaires et à maîtriser l’évolution du salaire minimum. Des progrès limités ont été accomplis pour améliorer le système fiscal, atténuer les effets de seuil pour les entreprises, inciter davantage à embaucher en contrats à durée indéterminée, améliorer l’efficacité de la revue annuelle des dépenses liée à la procédure budgétaire et supprimer les restrictions injustifiées à l’accès aux professions réglementées et à leur exercice. La stratégie budgétaire n’a pas été renforcée et les réductions de dépenses prévues jusqu’en 2017 n’ont pas encore été entièrement définies. Enfin, l’adoption et la mise en oeuvre de la réforme annoncée du code du travail restent déterminantes pour faciliter les dérogations aux dispositions juridiques générales, tout comme la réforme du système d’assurance chômage est essentielle pour améliorer la viabilité financière de celui-ci et inciter davantage les employeurs à réintégrer les chômeurs sur le marché du travail.

En ce qui concerne les progrès accomplis dans la réalisation des objectifs nationaux au titre de la stratégie Europe 2020, la France obtient, selon les auteur du rapport, de bons résultats pour ce qui est de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, de l’amélioration de l’efficacité énergétique et de la diminution du décrochage scolaire, tandis qu’elle doit redoubler d’efforts en ce qui concerne le taux d’emploi, l’intensité de R&D, l’utilisation des énergies renouvelables, l’enseignement tertiaire et la lutte contre la pauvreté.

Les principales conclusions du bilan approfondi figurant dans le rapport et les enjeux politiques découlant de cette analyse sont les suivants:

  • La croissance potentielle du PIB français a reculé depuis le début de la crise, en dépit d’un fort dynamisme démographique. L’accumulation de capital comme la croissance de la productivité totale des facteurs ont enregistré une baisse sensible. Le recul de la croissance de la productivité contribue à une nouvelle dégradation de la compétitivité française et aggrave les problèmes découlant du niveau élevé de la dette publique.
  • L’amélioration récente des performances du pays à l’exportation ne traduit pas une amélioration structurelle mais s’explique principalement par la dépréciation de l’euro. Depuis la fin de 2014, les exportations ont connu une nette accélération. Cette amélioration toutefois se concentre sur quelques secteurs clés, en particulier les équipements de transport. La somme des contributions provenant des équipements de transport et de l’énergie, dont la hausse est principalement due à une baisse des prix du pétrole, est plus importante que l’amélioration globale du déficit commercial français depuis 2011.
  • La récente modération salariale, dans un contexte de faible inflation et de chômage élevé, demeure insuffisante pour permettre au pays de renouer avec la compétitivité compte tenu du ralentissement de la croissance de la productivité. La progression des salaires réels n’a été inférieure à la croissance de la productivité qu’en 2015. Le mécanisme d’indexation du salaire minimum contribue à retarder les ajustements des salaires moyens. Le mécanisme de formation des salaires contribue également à l’accroissement des pressions salariales et la limitation du temps de travail pèse sur le coût de la main-d’oeuvre.

L’amélioration des marges bénéficiaires observée depuis la fin de 2014 ne devrait pas se traduire par un taux d’investissement plus élevé avant 2017. Les marges bénéficiaires ont récemment été soutenues par la dépréciation de l’euro, la baisse des prix du pétrole et les mesures visant à réduire le coût du travail. Malgré cette augmentation des marges bénéficiaires, le taux de croissance des investissements a reculé en 2014 du fait du fléchissement de la croissance de l’activité économique. En outre, les dépenses des entreprises françaises continuent de cibler des investissements moins productifs. Des défis spécifiques subsistent dans le domaine des activités de recherche et développement menées par le secteur privé et dans le secteur de l’énergie.

  • Les obstacles à l’investissement privé sont limités. Les lourdes contraintes réglementaires et le taux élevé d’imposition des sociétés figurent parmi les principaux obstacles à l’investissement.
  • Une dette publique élevée et en augmentation, conjuguée à un fléchissement de la compétitivité et de la croissance de la productivité pourrait constituer une source de risques non négligeables pour l’avenir. Il n’y a pas, dans l’immédiat, de risques à court terme, étant donné que les taux d’intérêt sont bas et que la gestion de la dette publique est saine. Néanmoins, des efforts d’assainissement importants devront être consentis dans les prochaines années pour réduire le déficit et le niveau élevé de la dette publique. À long terme, les risques sont plus limités en raison d’évolutions démographiques qui sont favorables par comparaison avec celles observées dans le reste de l’UE. Néanmoins, si le contexte devait s’avérer plus défavorable, avec par exemple une croissance de la productivité plus faible que prévu, les risques budgétaires seraient accrus. Si la charge de la dette du secteur privé est faible et que la rentabilité des entreprises s’est améliorée, la combinaison d’une dette publique et privée élevée représente un facteur de risque supplémentaire.
  • L’efficacité des dépenses publiques reste limitée. La France est un des pays de la zone euro où les dépenses publiques sont les plus élevées et le niveau de ces dépenses a baissé plus lentement depuis 2010. Le niveau des dépenses est élevé, tout comme celui des services fournis, par exemple dans le domaine des retraites et des soins de santé. D’autres États membres toutefois obtiennent les mêmes résultats, voire des résultats supérieurs, avec moins de ressources.
  • La stratégie d’assainissement est davantage axée sur des mesures générales que sur des mesures bien précises. La stratégie d’assainissement s’appuie sur les dépenses. L’accent toutefois est mis davantage sur une réduction générale des dépenses que sur une stratégie ciblée visant à permettre des gains d’efficacité, en particulier en matière de dépenses de logement et de dépenses des collectivités locales.
  • Compte tenu de sa position centrale au sein de la zone euro, la France est source d’effets d’entraînement potentiels sur d’autres États membres, tout comme la reprise de son économie est influencée par les conditions extérieures. Son redressement fragile et ses faiblesses structurelles ont une incidence négative sur la reprise économique et le potentiel de croissance de l’UE. À l’inverse, la reprise de l’économie française est tributaire de conditions extérieures favorables. La situation sur le front de l’inflation dans la zone euro joue également un rôle déterminant dans la réduction du ratio de la dette au PIB et le redressement de la compétitivité.

Les autres problèmes économiques clés analysés dans ce rapport, qui mettent en relief les défis spécifiques que doit relever l’économie du pays, sont les suivants:

  • La France continue de se classer à un niveau moyen pour ce qui est de l’environnement des entreprises par rapport aux résultats obtenus par ses principaux concurrents. En dépit des efforts de simplification en cours, les lourdes contraintes réglementaires et les fréquents changements apportés à la législation posent un problème et les effets de seuil continuent de peser sur la croissance des entreprises. La concurrence dans le secteur des services s’est améliorée en ce qui concerne certaines professions, mais des obstacles subsistent étant donné qu’un grand nombre de professions ne sont pas concernées par les réformes récemment opérées et que des entraves empêchent le développement de l’économie numérique.
  • Le fonctionnement du marché du travail demeure peu satisfaisant et les inégalités en matière d’éducation se sont accentuées au cours des dix dernières années. En 2015, le taux de chômage a augmenté et le marché du travail est resté segmenté, tant du point de vue du niveau d’éducation de la population active occupée que de la durée des contrats. Le déficit et la dette du système d’assurance chômage devraient encore se creuser. Par ailleurs, la législation stricte régissant le licenciement des personnes en contrat à durée indéterminée accroît la complexité de ces derniers et accentue la précarité. Les inégalités en matière d’éducation liées au contexte socio-économique sont parmi les plus élevées des pays de l’OCDE. Le lien entre le monde de l’éducation et le marché du travail reste faible et le recours à l’apprentissage est en diminution, en particulier pour les travailleurs peu qualifiés. Bien que la situation sociale soit restée globalement stable depuis 2008, certaines catégories sont désormais davantage exposées au risque de pauvreté et d’exclusion sociale et plus susceptibles de connaître de mauvaises conditions de logement.
  • En dépit d’un soutien gouvernemental important, la capacité d’innovation du pays se situe au niveau moyen. La R&D dans le secteur privé demeure relativement faible par rapport à la situation observée dans les pays européens à la pointe de l’innovation et les changements structurels que connaît l’économie française pèsent sur les perspectives de croissance. La multiplication des régimes d’aide suscite des inquiétudes quant à leur coordination et à leur cohérence globales et pourrait compromettre leur utilisation effective par les PME
  • La charge fiscale globale continue d’augmenter et sa composition n’est pas propice à la croissance économique, dans la mesure où elle pèse lourdement sur les facteurs de production. L’imposition des sociétés a commencé à baisser légèrement en 2014, mais la fiscalité sur la consommation, notamment la TVA, reste à un faible niveau par rapport au reste de l’UE. Le système fiscal demeure très complexe, avec une base d’imposition limitée. Enfin, la distorsion en faveur de l’endettement induite par le régime d’impôt sur les sociétés reste élevée.

Pour en savoir davantage:

Communication

Mémo

Rapports par pays

Lancement du semestre européen 2016: le paquet de novembre en clair

La gouvernance économique de l’UE en clair

Rapport sur le mécanisme d’alerte 2016

Prévisions économiques de l’hiver 2016