En 2008, l’Europe a été confrontée à une crise financière qui s’est muée en crise de la dette souveraine. Celle-ci s’explique par une conjonction de facteurs, comme la faiblesse de la surveillance bancaire, l’application de mauvaises politiques budgétaires et les difficultés rencontrées par de grandes institutions financières (dont le coûteux sauvetage a dû être financé avec l’argent du contribuable). La crise a déferlé sur les États membres de l’Union européenne en deux temps: elle a d’abord touché les pays situés en dehors de la zone euro (en 2008-2009), avant de s’étendre à cette dernière. Au total, huit États membres ont été contraints de demander une assistance macrofinancière: la Hongrie, la Lettonie, la Roumanie, l’Irlande, le Portugal, la Grèce, l’Espagne et Chypre.
Pour juguler cette crise, le Conseil européen du 17 juin 2010 a adopté la stratégie de croissance Europe 2020 pour les dix années alors à venir. Dans un monde en mutation, l’Union devait devenir une économie intelligente, durable et inclusive. Ces trois priorités devaient se renforcer mutuellement pour aider l’Union et ses États membres à assurer des niveaux élevés d’emploi, de productivité et de cohésion sociale. L’Union européenne s’était alors fixé cinq objectifs – qualifiés d’ambitieux – à atteindre d’ici 2020 en matière d’emploi, d’innovation, d’éducation, d’inclusion sociale et d’énergie (ainsi que de lutte contre le changement climatique). Chaque État membre avait adopté ses propres objectifs nationaux dans chacun de ces domaines. Des actions concrètes devaient être menées aux niveaux européen et national afin de décliner de façon opérationnelle cette stratégie.
Qu’est-ce que la stratégie Europe 2020?
La Stratégie Europe 2020 a succédé à la stratégie de Lisbonne lancée lors du Conseil européen de Lisbonne en 2000. Adoptée pour la période 2000 – 2010, la Stratégie de Lisbonne visait à faire de l’Union « l’économie de la connaissance la plus compétitive, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ». Elle a montré ses limites au regard notamment de sa capacité à prévenir la crise économique de 2008 et sa transformation en crise souveraine deux ans plus tard.
Le Conseil européen des 13 et 14 mars 2008 a invité la Commission, le Conseil et les coordinateurs nationaux de la Stratégie de Lisbonne à entamer une réflexion sur l’avenir de celle-ci au-delà de 2010. La stratégie Europe 2020 se situe dans la continuité de la stratégie de Lisbonne mais renforce la nature qualitative des ses trois orientations de croissance: une croissance intelligente, par le biais d’une économie fondée sur la connaissance et l’innovation ; une croissance durable, vers une économie plus efficace dans l’utilisation des ressources et agissant pour une réduction de gaz à effet de serre ; une croissance inclusive, promouvoir la création d’emploi favorisant la cohésion sociale et territoriale.
A la suite d’une consultation publique menée par la Commission européenne entre fin novembre 2009 et mi-janvier 2010, à laquelle la France a contribué, la Commission a présenté en mars 2010 une communication, qui proposait de fixer des objectifs chiffrés, accompagnés de cibles claires, dans les cinq domaines précités : porter à 75% le taux d’emploi des travailleurs entre 20 et 64 ans ; porter à 3% du PIB le niveau cumulé des investissements publics et privés dans le secteur de la recherche et du développement (RD) ; stratégie 20-20-20 : réduire les émissions de gaz à effet de serre de 20% par rapport au niveau de 1990 ; passer à 20% la part d’énergie renouvelable ; augmenter de 20% l’efficacité énergétique ; améliorer le niveau d’éducation en réduisant le taux de décrochage scolaire à moins de 10% et en portant à 40% la proportion de personnes âgées de 30 à 34 ans disposant d’un diplôme de l’enseignement supérieur ou équivalent ; favoriser l’inclusion sociale en réduisant la pauvreté et en s’attachant à ce que 20 millions de personnes cessent d’être confrontées au risque de pauvreté.
Au niveau communautaire, sept initiatives-phares, qui « constituent les nouveaux moteurs de la croissance et de l’emploi » devaient orienter de façon concrète l’action de l’Union pour favoriser sa contribution à l’atteinte de ces objectifs :
– «Une Union pour l’innovation» visait à améliorer les conditions-cadres et l’accès aux financements pour la recherche et l’innovation afin de garantir que les idées innovantes puissent être transformées en produits et services créateurs de croissance et d’emplois;
– «Jeunesse en mouvement» visait à renforcer la performance des systèmes éducatifs et à faciliter l’entrée des jeunes sur le marché du travail;
– «Une stratégie numérique pour l’Europe» visait à accélérer le déploiement de l’Internet à haut débit afin que les entreprises et les ménages tirent parti des avantages d’un marché numérique unique;
– «Une Europe efficace dans l’utilisation des ressources» visait à découpler la croissance économique de l’utilisation des ressources, à favoriser le passage vers une économie à faible émission de carbone, à accroître l’utilisation des sources d’énergie renouvelable, à moderniser notre secteur des transports et à promouvoir l’efficacité énergétique;
– «Une politique industrielle à l’ère de la mondialisation» visait à améliorer l’environnement des entreprises, notamment des PME, et à soutenir le développement d’une base industrielle forte et durable, à même d’affronter la concurrence mondiale;
– «Une stratégie pour les nouvelles compétences et les nouveaux emplois» visait à moderniser les marchés du travail et à permettre aux personnes de développer leurs compétences tout au long de leur vie afin d’améliorer la participation au marché du travail et d’établir une meilleure adéquation entre l’offre et la demande d’emplois, y compris en favorisant la mobilité professionnelle;
– «Une plateforme européenne contre la pauvreté» visait à garantir une cohésion sociale et territoriale telle que les avantages de la croissance et de l’emploi sont largement partagés et que les personnes en situation de pauvreté et d’exclusion sociale se voient donner les moyens de vivre dans la dignité et de participer activement à la société.
Ces grandes lignes ont été validées par le Conseil européen des 25 et 26 mars 2010, avant que la Stratégie Europe soit définitivement adoptée et lancée par le Conseil européen du 17 juin 2010.
Au commencement, il y avait la zone euro. Les membres et les futurs membres devaient limiter leur déficit gouvernemental à 3% du produit national brut et le niveau de dette publique à 60%. Cela devait empêcher les crises futures et garantir la stabilité. Jusque là, tout va bien. Mais en 2008, une crise a éclaté. De nombreux États membres ont avoué ne pas avoir respecté les règles. La crise avait diverses causes, mais cela n’a pas aidé que tous les pays aient fait leurs propres comptes et budgets dans leur coin. Donc, en 2010, quand l’UE a défini sa nouvelle stratégie pour la croissance, les objectifs incluaient une meilleure coordination des politiques nationales sur : le budget, la croissance et l’emploi. Les 28 et les institutions de l’UE collaborent désormais étroitement selon un programme précis pour la préparation des budgets nationaux. Ce processus, connu sous le nom de Semestre européen, permet à l’UE de surveiller de près les pays. Toutes ces institutions ont leur mot à dire sur le sujet. D’abord, la CE fixe les priorités de l’UE pour l’année à venir. Le PE et le Conseil de l’UE en discutent ensuite et les approuvent. En début d’année, on examine pour chaque État membre : sa situation économique, ses programmes de réforme et ses déséquilibres éventuels. Le PE peut inviter les présidents d’autres institutions pour discuter de sujets liés au Semestre européen et réclamer un dialogue avec les États membres. À la réunion de printemps du Conseil de l’UE, les chefs d’État et gouvernement fixent les orientations économiques et fiscales. C’est alors aux États de les suivre dans un programme de réformes et un plan pour garantir des finances publiques saines. Les institutions examinent la situation économique et les politiques de chaque État et émettent des recommandations spécifiques par pays. Les États doivent alors suivre ces recommandations quand ils établissent leur budget national.
La crise souveraine ayant aussi, et surtout, révélé la nécessité d’un renforcement de la coordination budgétaire et de la surveillance économique des Etats membres, la mise en place d’un « Semestre européen » a été décidée.
Qu’est-ce que le Semestre européen?
Ayant identifié l’échec de la stratégie de Lisbonne comme un échec de la réalisation nationale de ses objectifs, le Semestre européen a pour but d’exercer un contrôle, une surveillance sur l’avancée des réformes. Afin d’assurer une mise en œuvre efficace de la stratégie Europe 2020, une gouvernance renforcée a été mise en place, associant principalement la Commission européenne et les Etats membres (à titre national, ou réunis au sein du Conseil européen ou du Conseil de l’Union européenne) ; conformément aux attentes de la France, le Conseil européen a été doté d’un rôle central d’impulsion et de pilotage afin d’assurer une appropriation politique au plus haut niveau ; par rapport à la Stratégie de Lisbonne, le système de surveillance économique et budgétaire multilatéral, piloté par la Commission européenne, a été renforcé.
Ce système de coordination et de surveillance multilatérale des politiques économiques et budgétaires se déroule chaque année entre janvier et juillet, et est appelée « Semestre européen ». Il comporte différentes étapes :
– en janvier au plus tard, la Commission européenne publie son Analyse annuelle de la croissance, qui contient à la fois un bilan des progrès déjà marqués et une partie prospective portant sur les volets budgétaire, macroéconomique et structurel de la surveillance ;
– ce document constitue la principale base de discussion au niveau ministériel au sein des Conseils compétents, à savoir les Conseils ECOFIN (responsable des aspects économiques et financiers) et EPSCO (responsable des aspects sociaux : formation, éducation, protection sociale) au mois de février. Dans le même temps, le Parlement européen débat également de l’Analyse annuelle de croissance et peut adopter une résolution présentant sa propre évaluation ;
– sur le fondement de ces discussions, les chefs d’Etat et de gouvernement, lors du Conseil européen de printemps (mars),évaluent les progrès réalisés aux niveaux de l’UE et des États membres sur la voie des cinq grands objectifs de l’UE et dans le cadre des initiatives phares, et fournissent des orientations politiques horizontales – au niveau communautaire et national – en matière budgétaire et macro-économique, ainsi qu’en matière de réformes structurelles dans les secteurs porteurs de croissance, et fait des suggestions sur la façon d’articuler ces trois aspects ;
– en avril, les Etats membres présentent à la Commission européenne :
i) leurs programmes de stabilité (pays de la zone euro) ou de convergence (pays hors zone euro) au titre du volet préventif du Pacte de stabilité et de croissance. Dans le contexte du renforcement des procédures de surveillance par les pairs, ces documents visent à assurer une discipline budgétaire plus rigoureuse et à présenter la stratégie budgétaire des Etats membres à moyen terme, afin de garantir la viabilité de leurs finances publiques.
ii) leurs programmes nationaux de réforme, qui constituent l’instrument clef de la stratégie Europe2020 à l’échelon national, et présentent les réformes qu’ils entendent mener à bien dans les domaines contribuant à la croissance, tels que le marché du travail, la RD, l’éducation, etc., en accord avec les objectifs définis au niveau communautaires.
– en mai, la Commission procède à l’examen de ces programmes puis, en fonction de cette évaluation, elle présente aux Etats membres des recommandations spécifiques par pays.
– en juin, ces recommandations font l’objet de discussions au niveau des Ministres (Conseils ECOFIN et EPSCO) et peuvent éventuellement être modifiées, avant d’être approuvées par le Conseil européen puis formellement adoptées par le Conseil.
L’adoption formelle par le Conseil fin juin ou début juillet des recommandations spécifiques par pays marque la fin du « semestre européen » et le lancement du « semestre national », qui est celui de la mise en œuvre par chaque Etat membre de ces recommandations, qu’il s’agisse de mesures budgétaires ou politiques.
L’objectif du semestre européen est de renforcer la coordination et la surveillance à un stade où les décisions budgétaires nationales importantes sont encore au stade de leur élaboration. Ainsi, les Etats membres doivent tenir compte des recommandations qui leur sont faites par le Conseil à travers les réformes qu’ils engagent et dans le cadre de l’adoption de leur budget national pour l’année suivante.
Quels sont les principaux résultats de la stratégie Europe 2020?
Alors qu’il reste encore trois ans pour atteindre ses objectifs fixés en 2010, il est d’ores et déjà peu vraisemblable que la stratégie 2020 soit couronnée de succès.
Sa mise en œuvre a été affectée par des faiblesses en termes de sensibilisation, d’implication et d’application.
Il convient tout d’abord de relever une profonde lacune dans la sensibilisation des citoyens européens à la stratégie, à l’élaboration de laquelle ils n’ont pas été associés, ne serait-ce que lors de la campagne des élections européennes, centrée sur des enjeux nationaux. Les objectifs de la stratégie ne sont pas connus et il peut même être difficile de trouver des informations à leur sujet dans les langues nationales. Les initiatives phares de la Commission manquent de visibilité. Peu sensibilisés, les citoyens européens sont aussi peu impliqués et n’expriment pas d’attentes particulières à cet égard à leurs représentants et gouvernements nationaux. Dès lors ces derniers ne manifestent pas d’ambitions significatives en faveur de l’atteinte des objectifs de l’Union européenne. La stratégie Europe 2020 demeure avant tout une affaire entre hauts fonctionnaires européens et hauts fonctionnaires nationaux et seuls les mécanismes de plus en plus contraignant du semestre européen ont un réel impact sur le déploiement de la stratégie au sein des différents Etats membres.
Les résultats d’ores et déjà obtenus sont peu prometteurs. Si l’Union européenne est en bonne voie pour atteindre ou se rapprocher des objectifs en matière d’éducation, de climat et d’énergie, elle se trouve très loin d’atteindre les objectifs en matière d’emploi, de recherche et développement et de réduction de la pauvreté. La crise économique a amplifié les divergences entre les États membres, divergences dont le Brexit est le point d’orgue. L’Union européenne semble entrer dans une phase de déconstruction. La stratégie Europe 2020 s’est révélée impuissante à la juguler, sans même considérer l’éventuelle (et souhaitable) convergence des politiques économiques des différents Etats membres. L’harmonisation fiscale, pourtant une « nécessité absolue » selon les mots de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, se heurte frontalement à la concurrence fiscale entre les États membres. Elle est sans doute la principale faille dans la construction de l’UE et l’obstacle majeur à la convergence des systèmes. Mais la Commission a bien du mal à faire avancer ce dossier. La règle de l’unanimité du Conseil, où siègent les Vingt-Huit, qui fait foi en matière de fiscalité (assortie de la consultation du Parlement et du Comité économique et social), limite les possibilités de trouver un accord dans ce domaine.
Le seul succès notable de la stratégie Europe 2020 est la mise en place du « semestre européen ». Mais ce succès est à double tranchant: en imposant aux Etats membres non seulement un renforcement de la coordination budgétaire et de la surveillance économique mais aussi, et surtout, la mise en oeuvre de réformes structurelles contraires aux attentes des citoyens – en France, la réforme territoriale et la loi travail – sans rechercher au préalable un consensus sur l’opportunité de leur mise en oeuvre, il a plutôt éloigné les citoyens de la construction européenne.
Triste constat pour une stratégie qui se voulait intelligente, durable et inclusive.
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