Oui à la responsabilité des gestionnaires publics… mais aussi au niveau local !

 

 

 

L’audience solennelle de rentrée de la Cour des comptes, qui s’est tenue le 22 janvier, a été l’occasion pour le Président de la République d’exprimer sa conception des juridictions financières. Il a notamment souhaité « ouvrir une réflexion sur la responsabilité des ordonnateurs et l’évolution de la Cour de discipline budgétaire et financière » dès lors « qu’il n’y a pas d’action publique efficace s’il y a une dilution de la responsabilité ». Il partage ainsi la position du Premier président qui a déclaré que « le dispositif actuel de mise en jeu des responsabilités n’est pas adapté » et que la Cour de Discipline Budgétaire et Financière (CDBF) « doit pouvoir juger de la régularité des décisions au regard de la loi et garantir que nul ne peut s’exonérer de sa responsabilité en la matière ». Tous deux ont insisté sur le fait que l’ambition politique de restaurer la confiance dans la vie publique ne serait pas complète « sans la refondation – attendue de longue date – des mécanismes de responsabilité des gestionnaires ». Pour le Président de la République comme pour le Premier président, la « plus grande responsabilité au quotidien des actes de gestion » constitue le corolaire de « l’évolution du régime de responsabilité pour les ministres (…) avec une suppression de la Cour de justice de la République ».

Le Premier président a réitéré ce message quatre jours plus tard, lors de l’audience de rentrée de la CRC de Provence-Alpes-Côte-d’Azur le 26 janvier, en affirmant que « la première ambition poursuivie par les juridictions financières est celle du respect de la régularité et de la probité ».

Le Président de la République et le Premier président rejoignent le constat du SJFu selon lequel la responsabilité administrative et financière des gestionnaires publics pour des fautes de gestion graves ou répétées, demeure l’échelon manquant du système de régulation de la démocratie locale entre les recommandations de gestion déjà formulées par les juridictions financières, les observations définitives rendues publiques et la sanction pénale des dysfonctionnements les plus graves. Le chef de l’Etat a souligné que les citoyens ne comprenaient plus cette situation qui, « ces dernières décennies, a conduit, collectivement, à l’évolution de notre système en créant une forme d’irresponsabilité relative du quotidien, pour finir tous et toutes dans une forme de responsabilité pénale intenable, pour chacun. Ce système, si nous le laissons prospérer, conduira au triomphe des prudents, peut-être même des inefficaces, parce que ça n’est qu’une prime qu’à cela ».

Le SJFu se réjouit de cette dynamique convergente esquissée par le Président de la République, le Premier président et depuis longtemps par le Procureur général, mais seulement si elle tient compte du principe de subsidiarité et aboutit à renforcer les CRTC.

Cette nuance s’inscrit dans le sens de l’histoire. D’une part en raison de l’effacement du contrôle préfectoral de légalité qui accroît par contraste le rôle des CRTC dans la chaîne de contrôle de la gestion locale. D’autre part en miroir de la volonté du chef de l’Etat, réitérée lors de l’audience de rentrée, d’autoriser les collectivités territoriales à expérimenter des dispositifs réglementaires dérogatoires. Les CRTC sont au bon niveau pour contrôler l’émergence de cette spécialisation locale.

Cette cohérence est même cruciale pour l’avenir des juridictions financières et doit être replacée dans son contexte. L’expérimentation de la certification des comptes des hôpitaux puis des collectivités territoriales qui apparaît avoir pour seul but de justifier sa généralisation, d’une part ; la création du compte financier unique qui va inévitablement questionner à moyen terme la pérennité de la séparation ordonnateur / comptable et donc du jugement des comptes, d’autre part, posent une question existentielle : quel sera le positionnement institutionnel des CRTC dans dix ans ? des cabinets d’audits ou de commissaires aux comptes en concurrence avec les cabinets privés ? des contrôleurs de second rang se concentrant sur l’architecture du système, ainsi que l’entrevoit le Procureur général ? des sous-traitants de vastes évaluations pilotées par la Cour des comptes et contribuant à nourrir de plus en plus largement les publications de celle-ci ? ou des juridictions affermies dotées d’un pouvoir de sanction complémentaire du contrôle des comptes et de la gestion, c’est-à-dire d’un pouvoir réel et complet d’audit de l’emploi des fonds publics ? Le SJFu regrette l’absence de réflexion collective sur ces questions au sein des juridictions financières, alors que notre institution se trouve à la croisée des chemins.

Le Livre Blanc des juridictions financières, publié en juillet 2017, s’efforce de l’initier en mobilisant toute l’expertise et le recul des magistrats quotidiennement confrontés aux réalités de la République décentralisée. Le SJFu est attaché au statut de juridiction des CRTC, d’ailleurs imposé par les élus locaux en 1983, parce qu’il constitue la meilleure garantie d’indépendance, d’objectivité et donc de crédibilité pour les contrôlés comme pour les citoyens. Il croit également en la pertinence de l’échelon local du contrôle, bien adapté aux enjeux territoriaux des collectivités et entités contrôlées. Le Livre Blanc en tire les conséquences et promeut le renforcement du rôle des CRTC comme garants de la démocratie locale en proposant de leur conférer une capacité effective à sanctionner les dysfonctionnements majeurs, de les doter de la faculté de conduire des enquêtes à l’échelle d’un « écosystème territorial » et de publier sur celles-ci des rapports transversaux accessibles aux citoyens. A l’instar du Procureur général, nous restons convaincus que « la mise en jeu de responsabilités personnelles est un puissant levier de protection des intérêts de la société, de lutte contre les dérives dans le bon emploi des fonds publics, ou encore de transformation de l’État ».

Le succès d’initiatives locales comme les rencontres entre les magistrats de la CRC Auvergne-Rhône-Alpes, les magistrats judicaires de Grenoble et Chambéry, et les services de la répression des fraudes de Lyon qui se sont tenues les 8 et 9 février, ou d’initiatives syndicales comme les rencontres professionnelles du 19 janvier avec le SNDGCT, confortent notre conviction. Elles révèlent les attentes placées par les autres magistrats et fonctionnaires assermentés dans une coopération accrue avec les CRTC ; elles reflètent notre rôle incontournable de contre-pouvoir local pour assurer le bon emploi des fonds publics et la vitalité de la démocratie locale. La présence lors de la première rencontre du Procureur général et de la Direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice, traduit à nos yeux l’enjeu national que revêt la cohérence de la chaîne locale de contrôle. Si un maillon est ôté, la chaîne se disloque. Le SJFu souhaite donc que les CRTC assument pleinement leur rôle régalien à l’échelon local.


Le Livre Beige est lancé !

Le congrès des 12 et 13 octobre 2017 a mandaté le bureau pour élaborer un Livre Beige des juridictions financières, déclinant en mesures opérationnelles les grandes orientations du Livre Blanc publié en juillet 2017. Notre ambition est de construire un projet en trois temps :

  1. Une analyse du contexte dans lequel s’inscrivent les orientations proposées par notre organisation syndicale en les replaçant dans leur contexte historique, budgétaire et juridique : approfondissement de la décentralisation, réformes successives des CRTC, évolutions des équilibres de la gestion publique locale, etc. ;
  2. Des propositions d’articles modifiant les textes législatifs et réglementaires en vigueur ou instituant de nouvelles dispositions ;
  3. Une étude d’impact de ces propositions, comportant au besoin des simulations financières et l’estimation des moyens nécessaires.

Chacune de ces étapes fera l’objet d’une validation par les instances syndicales.

Le 21 novembre, le bureau a défini le cadre général du projet, constitué l’équipe qui en coordonnera l’élaboration et la rédaction et approuvé le calendrier. Animée par Thomas Montbabut, elle se compose de Carole Collinet, Alain Stéphan, Anne Bénéteau, François Nass, Jacques Schwartz et Lucile Lejeune. Des groupes de travail pourront être créés pour chaque thématique métier. Les enjeux de moyens et de de gestion des ressources humaines feront l’objet d’un traitement transversal s’articulant avec chacun des groupes thématiques. Les groupes débuteront leurs travaux dans les prochaines semaines. Le bureau mettra à leur disposition les moyens nécessaires.

Dans un second temps, sur la base d’un premier projet à compter du printemps 2018, l’équipe élargira le champ de ses consultations en sollicitant les acteurs concernés : élus, universitaires, autres organisations représentatives de collectivités, associations professionnelles, juristes, etc.

L’objectif est triple :

  1. Disposer de propositions argumentées et concertées alors que le Gouvernement lance un programme « Action publique 2022 » de réforme de l’Etat qui nous concernera pour au moins deux de ses cinq chantiers : la rénovation du cadre des ressources humaines et la modernisation de la gestion budgétaire et comptable. Nous demanderons à être entendus dans le cadre de ce programme.
  2. Disposer des éléments techniques nécessaires aux échanges avec la Cour et l’administration ;
  3. Présenter au prochain congrès un Livre Beige finalisé, complétant notre vision stratégique des juridictions financières et de leur utilité sociale par des propositions opérationnelles.

Dans un contexte mouvant, où le positionnement institutionnel des juridictions financières sera interrogé, où se profilent d’importantes évolutions de l’organisation du droit budgétaire et comptable, où le contrôle de la gestion publique locale se réduit sans qu’en contrepartie une responsabilité des gestionnaires locaux plus moderne, plus sûre et plus équilibrée n’intervienne, il apparaît plus que jamais nécessaire que le Syndicat des juridictions financières unifié mobilise son expertise en réfléchissant aux dispositifs et aux outils qu’il convient de confier à nos juridictions, afin de proposer des mesures en ce sens.


Michel Delebarre reconnait que les moyens alloués aux juridictions financières sont insuffisants

Réunie le mercredi 16 novembre 2016, sous la présidence de M. Philippe Bas, président, la commission des lois du Sénat a examiné, sur le rapport pour avis de M. Michel Delebarre, les crédits consacrés par le projet de loi de finances pour 2017  au programme « Cour des comptes et autres juridictions financières ».

Notre organisation syndicale avait été auditionnée par le rapporteur le 8 novembre (voir notre  article intitulé Le SJFu entendu au Sénat).

Devant la commission des lois du Sénat, Michel Delebarre a tout d’abord observé que les moyens alloués par le projet de loi de finances pour 2017 à ce programme étaient relativement préservés, avec  une hausse de 0,5 % des crédits et un plafond d’emplois stable pour les juridictions financières. Il a ensuite souligné que les performances satisfaisantes affichées par  les juridictions financières risquaient néanmoins de se dégrader en raison de la multiplication des compétences qui leur sont confiées. Pour leur permettre de faire face à l’augmentation du nombre de leurs missions, des mesures de réorganisation avaient été prises avec succès ces dernières années. Ainsi, la réforme de la carte des chambres régionales des comptes, qui s’est achevée en 2016, a permis à ces juridictions d’atteindre une taille optimale et devrait entraîner des économies, bien que celles-ci soient pour l’instant difficiles à évaluer faute de recul. Il a estimé que les gains de productivité ainsi dégagés et les moyens alloués aux juridictions financières ne seraient pas suffisants pour leur permettre, à l ’avenir, de fonctionner de manière satisfaisante, compte tenu des nouvelles missions qui leur ont été confiées par le législateur, en particulier la certification des comptes des collectivités territoriales et le contrôle des établissements sociaux, médico-sociaux et des établissements de santé privés.

Pour en savoir davantage:

Avis de Michel Delebarre sur le programme 164


Les juridictions financières ne disposent pas de ressources nécessaires et raisonnables

Depuis plusieurs années, le périmètre des missions des juridictions financières n’a cessé de s’élargir : certification des comptes de l’État et des régimes généraux de sécurité sociale, mise en œuvre de la réforme budgétaire et comptable, développement des contrôles communs entre la Cour et les chambres régionales des comptes, développement des missions de conseil et d’appui au Gouvernement et au Parlement, et contrôle élargi des organismes faisant appel à la générosité publique.

Les années 2015 et 2016 ne dérogent pas à la règle. L’article 110 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République a élargi le champ de la certification par la Cour et les chambres régionales aux comptes des collectivités territoriales et de leurs groupements. La loi relative à la santé a étendu les compétences de contrôle de la Cour et des chambres régionales des comptes aux établissements sociaux et médico-sociaux ainsi qu’aux établissements de santé privés. C’est désormais 47 milliards d’euros qui sont ainsi ouverts au contrôle de la Cour et des chambres régionales.

Les juridictions financières arrivent à la limite de leurs capacités à conduire les missions qui leur sont confiées. La Cour et les chambres régionales, prises ensemble, ne comptent que 639 magistrats, son homologue allemand en compte 1 250 alors que ses missions sont moins étendues.

Les juridictions financières ne disposent pas des ressources humaines, matérielles et financières nécessaires et raisonnables à l’exercice de ses moyens de contrôle, comme l’impose pourtant au pouvoir exécutif la résolution A/66/209 de l’Assemblée générale de l’ONU. Cette résolution, adoptée le 22 décembre 2011, porte sur la nécessité de rendre l’administration publique plus efficiente, plus respectueuse du principe de responsabilité, plus efficace et plus transparente. L’Assemblée générale a considéré que les institutions supérieures de contrôle des finances publiques – comme la Cour des comptes — ne pouvaient exercer efficacement leurs attributions de façon objective qu’à condition d’être indépendantes des entités qu’elles contrôlaient et protégées de toute influence extérieure.

Pour en savoir davantage:

Résolution A/66/209 de l’Assemblée générale de l’ONU

Farandole Programme 164 – 2016