Comité de réflexion « Mission affectation des élèves à la sortie de l’ENA »

Le Premier Ministre avait demandé à Marylise LEBRANCHU de réfléchir aux modalités d’accès aux grands corps, actuellement accessibles aux élèves sortant de l’ENA et de lui proposer des mesures de réforme qui lui sembleraient les plus nécessaires et les plus consensuelles ». Un comité de réflexion « Mission affectation des élèves à la sortie de l’ENA » animé par Mme Marylise Lebranchu a donc été mis en place au cours du troisième trimestre 2015 pour y réfléchir. Elle a notamment réuni Mme Maya BACACHE-BEAUVALLET, docteur en sciences économiques, M. Bernard BOUCAULT, ancien directeur de l’ENA, M. Christian FORESTIER, ancien administrateur général du CNAM, Mme Elsa PILICHOWSKI, conseillère à l’OCDE, et M. Bernard RAMANANTSOA, ancien directeur général d’HEC.

Après consultations, des recommandations ont été remises à Matignon au début du mois de décembre. Ce groupe de travail propose notamment de fusionner les deux corps de magistrats financiers. Les principales conclusions de ce comité de réflexion sont présentées ci-après:

Compte rendu des conclusions principales 30 Novembre 2015

Introduction

La lettre de mission de la Ministre de la Décentralisation et de la Fonction publique du 23 septembre 2015 restreint l’objet de cette mission à l’entrée dans cinq des corps de la haute fonction publique des élèves sortant de l’ENA. Nous voulons néanmoins insister sur le fait qu’aucune réforme ne peut être conduite si elle n’est pas en cohérence avec une vision, un sens global pour la haute fonction publique. Toute réforme portant sur un aspect limité de la gestion de celle-ci peut avoir un impact et des effets de bord, par exemple sur l’attractivité des autres corps ou sur celle de l’ENA.

Nous nous sommes efforcés de délimiter les questions à résoudre et d’y apporter des réponses susceptibles d’être mises en œuvre sans bouleverser le statut de la fonction publique. A cet égard nous tenons à souligner les évolutions positives très importantes en cours au service  d’une gestion plus dynamique et plus professionnelle de la haute fonction publique avec, en particulier, la constitution d’un vivier de cadres dirigeants et le rôle de pilotage donné au secrétariat général du gouvernement.

 

I. Les problèmes identifiés par la mission

La lettre de la Ministre de la Décentralisation et de la Fonction publique signale certaines difficultés et nos auditions en ont soulevé d’autres. Il nous est apparu que certaines étaient des «faux problèmes» et que d’autres étaient, en revanche, plus complexes à résoudre.

Par ailleurs, il s’est avéré que les problèmes ne sont pas tout à fait les mêmes pour les cinq corps concernés. Dans cette note, par facilité de langage, nous avons employé le terme de « grands c0rps » pour le Conseil d’Etat, la Cour des Comptes et l’Inspection générale des finances, et celui d’ « administration   active »    au    lieu    de    celui    d’ « administration    opérationnelle »    ou d’ « administration administrante », souvent rencontrés, mais aussi contestés, lors de nos entretiens, et nous semblant encore plus sujets à débat.

1)       Premier problème: le manque d’expérience administrative des élèves sortis de l’ENA dans les corps d’inspection et de contrôle

Il nous est très vite apparu que le manque d’expérience administrative des élèves sortis de l’ENA dans les corps d’inspection et de contrôle était un faux problème. En effet, plusieurs obse1-vations relativisent cette hypothèse:

-une part significative des élèves sortant de l’ENA ont déjà une expérience, c’est le cas des élèves issus du concours interne et du 3ème concours. Par ailleurs, c’est le rôle de l’ENA, école d’application, de donner à ceux qui n’en n’ont pas, un début d’expérience à travers les différents stages (en particulier, comme l’ont mentionné beaucoup de nos interlocuteurs, le stage en préfecture). Les réponses au questionnaire d’évaluation de la formation diffusé un an après la sortie de l’école, attestent de ce constat, la très grande majorité des employeurs exprimant leur satisfaction sur ce point.

  • les activités d’inspection et d’audit sont assurées par des équipes mixtes associant des seniors et des juniors ce qui permet le transfert d’expérience.

-le secteur privé  du contrôle et de l’audit fonctionne de la même façon (couple senior/junior). Il est constaté d’ailleurs que les grands cabinets d’audit cherchent  (et parviennent) à recruter parmi les «meilleurs» à la sortie des grandes écoles de management. Ces jeunes auditeurs s’appuient sur l’expérience acquise pour souvent exercer au bout de quelques années des responsabilités dans les entreprises.

  • les activités d’audit ou d’évaluation nécessitent pour partie une initiation intense et soutenue avec des expertises techniques renouvelées que les jeunes générations sont plus à même de maîtriser en sortie d’école.

2)       Deuxième problème: la disproportion des fonctions d’audit ou d’inspection au regard des fonctions d’administration « active » (administrateur civil, fonction préfectorale, diplomatie).

Actuellement environ 40% des postes proposés à la sortie de l’ENA correspondent  à  des fonctions d’inspection, d’audit et de contrôle. Cette proportion croissante nous  a  semblé  au premier abord élevée alors que les effectifs globaux des promotions au cours des dix dernières années ont significativement baissé, cette baisse affectant principalement le corps des administrateurs civils.

Il convient cependant de souligner suite à ce premier constat que, dans la même période, la charge de travail du Conseil d’Etat et de la Cour des Comptes s’est notablement accrue et que les missions d’évaluation et d’audit des politiques publiques ont connu un fort développement. Le maintien d’un niveau d’effectifs suffisant pour ces corps n’est donc pas sans justification alors même que l’organisation des ministères a connu de profondes restructurations accompagnées souvent de fusions de services.

Par ailleurs, s’il ne nous appartient pas de nous prononcer sur les effectifs qui doivent être consacrés à des fonctions d’inspection générale interministérielle, il nous semble que ce volume d’emploi devrait être fixé en prenant en compte la possibilité  de  recourir  à  une  offre  privée d’audit, après avoir clairement défini ce  qui doit impérieusement rester du domaine de l’audit interne de l’administration. Cette réflexion pourrait permettre de dégager de nouvelles marges de manœuvres.

3)       Troisième problème : les avantages de carrière, réels ou supposés

Cette question est sans doute la plus complexe. Elle revient à s’interroger sur les avantages de ces corps et particulièrement des trois grands corps en termes de carrière, prestige et rémunération. La qualité des élèves qui choisissent ces corps est unanimement reconnue mais c’est aussi le cas de ceux qui les suivent de près dans le classement: le rang de classement objective des écarts de points infrmes entre les élèves classés dans la première moitié. Nombre de nos interlocuteurs ont souligné, sans jamais le cautionner, l’effet «démultiplicateur» des écarts de points à la sortie de l’ENA : pour quelques écarts minimes,  tous, y compris ceux qui en ont « bénéficié », reconnaissent que les différences de carrière sont significatives.

En termes d’avantages de carrière, les statistiques les plus récentes de nominations aux emplois à la décision du gouvernement et tout particulièrement  de  directeur  d’administration  centrale révèlent une diminution importante des postes occupés par  des membres  des grands corps. Il est notable de constater qu’aucun emploi de secrétaire général de ministère n’est occupé pat un membre des grands corps. C’est le résultat de l’évolution des fonctions de direction qui, aux yeux de tous, nécessitent désormais, une connaissance et une pratique des missions des ministères de plus en plus approfondie, ainsi que de la modernisation et de la professionnalisation de la gestion de la haute fonction publique.

En termes de rémunération, l’échelonnement indiciaire en première partie de carrière est le même pour tous les corps qui recrutent à la sortie de l’ENA même si les avancements de grade se font plus rapidement et souvent plus « systématiquement » pour les « grands corps ». La principale différence concerne la fin de carrière, le classement en échelle-lettre du grade terminal étant plus élevé pour les grands c0rps. Quant au régime indemnitaire, il est de plus en plus lié à la performance individuelle, quel que soit le corps.

L’exercice de responsabilités à l’extérieur de l’administration est moins fréquent du fait de la réduction du nombre d’entreprises publiques. Il teste significatif à l’IGF mais peut concerner aussi des administrateurs civils des ministères économiques et financiers ou des membres des juridictions administratives (cabinet d’avocats). Il semble également que la possibilité d’avoir des activités extérieures rémunérées soit beaucoup plus facile pour les membres des cinq c0rps.

Enfin, la possibilité pour les membres de ces c0rps de toujours revenir sut un emploi dans leur corps après être partis en détachement, en mobilité ou en disponibilité, renforce, à tort ou à raison, le sentiment, notamment aux yeux des élèves de l’ENA lorsqu’ils effectuent leur choix de carrière, qu’il existe des groupes privilégiés au sein de la fonction publique. Bien que le principe du droit au retour dans son corps soit au cœur du statut de la fonction publique, la garantie de retrouver « immédiatement » un emploi spécifique au sein du corps constitue un avantage réel. A cet égard, les efforts engagés pat la DGAFP pout organiser la deuxième partie de carrière des administrateurs civils peuvent aider à apporter une réponse à cette perception de « privilèges » réservés aux cinq corps en question.

Nous nous sommes donc attachés à étudier les solutions aux deux problèmes précédemment indiqués.

I. Les fausses solutions : celles que nous ne soutenons pas

  1. L’obligation d’occuper un premier poste en ministère, dans les institutions européennes ou en collectivité locale avant la prise de fonction d’un poste dans les cinq corps qui resteraient choisis à la sortie de l’ENA

L’avantage d’une telle obligation serait d’augmenter la compétence « administrante », mais cette dernière risque de revêtir un caractère factice. Il faudrait donc l’accompagner d’un bilan de mobilité si une telle réforme devait être retenue.

Le premier poste est très important en termes de formation et cette affectation retardée structurerait en partie les carrières et les compétences (voir pat exemple la promotion Rabelais qui a du choisir un premier poste« social»). Une telle obligation risque néanmoins d’être vite en réalité interprétée comme un stage. Enfin, il faut noter qu’une telle obligation pose le problème de la transition d’un régime à un autre : comment fonctionneraient les c0rps les deux premières années sans ces nouveaux arrivants?  Cette obligation de premier poste ailleurs que dans les fonctions de contrôle ou d’inspection semble également redondante avec la formation de l’ENA et les stages qui y sont faits. D’autre part, pour les élèves de l’ENA entrés par le concours interne ou le troisième concours, cette obligation n’aurait éventuellement qu’un intérêt limité et retarderait leur entrée dans leur carrière.

2. Reporter de quelques années après l’ENA le recrutement dans les cinq corps.

Ce report pourrait prendre plusieurs formes :

  • s’il s’agissait d’une forme de concours, cela conduirait à organiser une nouvelle compétition consommatrice d’énergie quelques années après la sottie de l’école au détriment de l’accomplissement  des missions confiées lors de ces premières années.
  • s’il s’agissait d’augmenter les recrutements au tour extérieur, qu’ils soient ouverts ou non aux seuls fonctionnaires, ces cinq corps deviendraient alors exclusivement des c0rps de débouchés avec une moyenne d’âge plus élevée, une productivité plus faible, un moindre échange entre générations, ce qui ne manquerait pas, ce qui est le plus grave, de poser des problèmes de fonctionnement en particulier pour celles de ces institutions qui accomplissent des missions récurrentes prévues pat la Constitution et les lois organiques (Conseil d’Etat, Cour des Comptes).
  • enfin, il est essentiel de ne pas réveiller le soupçon de favoritisme et le souvenir des recrutements de ces corps avant la création de l’ENA. Il nous semble donc important de ne pas tarit le recrutement de jeunes générations dans ces dans ces institutions.

 

III.  Les propositions  de la mission

  1. Les propositions consensuelles au sein de la mission

Proposition 1 : Fluidifier et rendre équitables et transparentes les carrières

Afm d’inciter les membres des cinq corps à acquérir une expérience concrète de l’action administrative, il pourrait leut être imposé d’effectuer une mobilité dans  des  emplois  de niveau chef de bureau, ou secrétaire général de préfecture avant d’occuper des fonctions de direction au sein des administrations centrales, y compris pom les plus élevées qui sont à la décision du gouvernement. La création du vivier des cadres dirigeants va dans ce sens. La pratique acquise dans la gestion de ce vivier pourrait être étendue aux emplois de  sous-directeur  et  chefs  de service. Il paraît important que l’ensemble des c01ps soient traités de manière équitable et transparente pour l’accès aux emplois de direction, dans les administrations centrales et les opérateurs publics.

Proposition     2 :  Créer     une     inspection     générale    interministérielle     par    le regroupement des trois corps d’inspection (IGF, IGA, IGAS).

Une telle réforme renforcerait le caractère réellement interministériel des travaux de  ces inspections, permettrait un meilleur pilotage de la politique de l’audit pat le Premier ministre et aussi de dégager de nouvelles marges de manœuvres. Afin d’éviter les inconvénients d’un rattachement « hors sol », il est proposé que les trois composantes de cette inspection restent implantées dans leut ministère actuel pom lequel elles pourraient continuer d’accomplir des missions spécifiques. Mais leur autorité d’emploi serait le Premier ministre.

Proposition 3 : Fusionner les deux corps de la Cour des Comptes et des chambres régionales d’une part, du Conseil d’Etat et des tribunaux administratifs d’autre part.

Ces deux fusions permettraient d’élargit le vivier de recrutement  tout au long de la carrière dans les institutions concernées et d’introduite plus de souplesse et de mobilité dans le déroulement de celles-ci. Cette réforme avait été envisagée pat Philippe Séguin alors Premier Président de la Cour des Comptes et avait bien avancé. Elle serait sans doute plus complexe à réaliser dans le champ de la  justice administrative, les membres du Conseil  d’Etat  accomplissant  des  fonctions différentes de celle des conseillers des tribunaux administratifs qui ont qualité de magistrats. Une expertise plus poussée devrait permettre de trouver les voies d’une telle fusion.

Les deux dernières réformes proposées (2 et 3) en ce qu’elles concernent les cinq corps objets de la lettre de mission, contribueraient à homogénéiser les procédures de sortie de l’ENA, à assouplir la gestion des carrières et favoriser les mobilités de fonctions, et à rendre le classement moins prégnant.

2)        Les propositions  qui restent en débat

Nous n’avons pas conclu sur deux sujets qui restent donc en débat, pour le premier en raison d’une absence de convergence au sein de notre groupe, et pour le second parce qu’il dépassait le cadre de notre mission.

Proposition 4 : Le recrutement en pied de corps ailleurs que par l’ENA.

Il existe des talents et des compétences ailleurs qui pourraient participer à des fonctions d’audit et de contrôle, dont les corps expriment souvent le besoin, c’est le cas par exemple des ingénieurs ou des scientifiques issus de l’Université. Dans plusieurs corps ils sont d’ailleurs déjà recrutés dans le cadre des tours extérieurs. La proposition a été faite de les recruter également, en nombre limité, en début de carrière. Cette proposition, ardemment débattue parmi nous, permettrait, pour ceux qui la défendent, de renforcer l’expertise en particulier dans ces fonctions d’évaluation et d’audit, et de diversifier les profils dans la haute administration. Rappelons que les ingénieurs appartenant aux grands corps techniques de l’Etat sont déjà un atout de la haute fonction publique.

D’autres membres de la mission ont fortement exprimé leur opposition à un tel recrutement qui remettrait en cause deux des principes fondateurs de l’ENA : la professionnalisation de la haute fonction publique (c’est un métier qui s’apprend dans une école d’application quelle que soit la qualité de la formation académique reçue), et la formation en commun aux devoirs que le service de l’Etat implique. Une telle réforme pourrait aussi affaiblir significativement l’attractivité de l’ENA.

Proposition 5 : La question de la suppression du classement de sortie.

Malgré les termes clairs de notre lettre de mission, la question du classement s’est naturellement posée à notre comité, ne serait-ce que par la fréquence des interrogations et des prises de position de nos interlocuteurs sur ce sujet. Cette suppression pourrait en effet permettre aux élèves de choisir plus librement les postes en fonction de leurs aspirations réelles et de leur formation et expérience acquises plus tôt. Une telle réforme irait dans le sens de la professionnalisation accrue qui est aujourd’hui requise pour exercer des fonctions de haut niveau dans l’administration publique. La perception de la hiérarchie entre les corps en serait sans doute modifiée. Cette réforme comporte cependant un risque, celui du retour à une  forme de cooptation voire  de népotisme, mais des mécanismes pourraient être mis en place pout y remédier.

Néanmoins, certains membres de la mission ont exprimé l’inquiétude de supprimer le classement sans toucher aux carrières et aux sélections en aval. Le comité n’a pas approfondi sa réflexion sur ce sujet dont il n’a pas été formellement saisi.

En conclusion, le comité a  retenu des auditions auxquelles il a procédé une appréciation  très positive de la part de ses interlocuteurs sur la qualité des élèves issus de l’ENA : les « recruteurs » reconnaissent le haut niveau des diplômés, ainsi que leurs grandes capacités d’analyse et à se positionner en force de proposition  dans leurs différents  emplois. Le comité note donc la valeur de l’école dans la sélection et la formation des hauts fonctionnaires pour les  corps  qui ont fait l’objet de cette réflexion. Le comité note aussi l’importance  de continuer  à renforcer  la gestion des carrières des hauts  fonctionnaires  tout au long de la vie.  Nos  propositions  ont été guidées par le double souci de mieux répondre à ce qui nous semble correspondre aux besoins immédiats et futurs de l’Etat et de développer l’attractivité de la haute fonction publique.

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