Comment redonner aux agents la clé de leur carrière

Sylvain Henry, journaliste depuis 2010 au sein du mensuel spécialisé dans l’analyse des politiques publiques et la réforme des administrations « Acteurs Publics », est promu en 2013 rédacteur en chef adjoint auprès de Bruno Botella, rédacteur en chef. Avant de rejoindre « Acteurs Publics », M. Henry a notamment été chef d’agence au sein de « Oise Hebdo », journaliste à Eurosport, journaliste-secrétaire de rédaction à « La Montagne » et journaliste à NBC News.

Dans un article du 5 juillet, il livre ses réflexions sur sur la gestion des carrières dans l’administration.

Sylvain Henry

Gouvernement et syndicats travaillent à décloisonner les pratiques de formation pour mieux articuler les besoins de l’administration avec les projets professionnels des agents. Ou comment favoriser des mobilités choisies plutôt que subies.

Permettre aux agents publics de prendre en main leur destin professionnel grâce à la formation “tout au long de la vie”. C’est l’un des enjeux de la concertation sur le développement des compétences et des parcours professionnels lancée au printemps par le ministère de la Fonction publique. Elle vise notamment à accompagner les évolutions professionnelles, voire personnelles des agents. “La fonction publique doit aujourd’hui favoriser la mobilité choisie des fonctionnaires”, a souligné la ministre, Annick Girardin, expliquant par ailleurs que “la formation continue doit être au rendez-vous à tous les niveaux de la carrière d’un agent”.

Ministère et organisations syndicales vont réfléchir jusqu’à la fin de l’année à l’articulation entre construction de projets collectifs et accompagnement des projets individuels en travaillant particulièrement sur la mise en place du compte personnel de formation dans le secteur public. Cette concertation est la déclinaison concrète de la nouvelle gestion des ressources humaines dans la fonction publique d’État annoncée en fin d’année 2015 par le Premier ministre, Manuel Valls. Pour résumer, il s’agit d’harmoniser des gestions des ressources humaines aujourd’hui très disparates d’une administration à l’autre afin de favoriser un pilotage plus serein, plus efficace et surtout plus fluide des effectifs et ainsi dynamiser les mobilités et les parcours des agents, aujourd’hui entravés par des pratiques organisationnelles et indemnitaires terriblement différentes. La formation professionnelle est l’un des éléments clés de cette nouvelle approche, qui devrait aboutir à la transformation de la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) en une DRH de l’État.

Millefeuille de formations

“D’un ministère à l’autre, les volumes et les plans de formation ne sont pas identiques, regrette la secrétaire générale de la FSU, Bernadette Groison. La formation professionnelle devrait donner des leviers d’évolution à chaque agent, ce n’est malheureusement pas le cas aujourd’hui.” Les agents de l’État bénéficient en moyenne de 7,4 jours de formation par an : 4,2 jours de formation statutaire obligatoire pour être titularisé ou accéder à un grade et 3,2 jours de formation professionnelle composée pour l’essentiel de la formation continue, à laquelle s’ajoutent des congés de formation, bilans de compétences et autres périodes de professionnalisation auxquels les agents ont peu recours, faute d’information sur ces dispositifs et/ou faute de budgets de leurs administrations.

Le droit individuel à la formation (DIF) n’a ainsi été utilisé que par un agent public sur 10 pour suivre une formation sur l’année écoulée. Les chiffres, en matière de formation continue, varient du simple au double selon les ministères. Et si 72 % des agents publics, tous versants confondus, bénéficient d’une formation chaque année contre 59 % des salariés dans le privé, celle-ci dépend largement du niveau de formation initiale : les plus diplômés sont deux fois plus à suivre des formations que les fonctionnaires sans diplôme. “Il existe un petit millefeuille de formations dans la fonction publique, pointe Bernadette Groison, et on perd en lisibilité et en efficacité.”

Après les annonces de Manuel Valls fin 2015, la DGAFP a reçu pour mission de Matignon d’harmoniser, de mutualiser et de rendre plus accessible ce “millefeuille”. “Notre système de formation est de grande qualité mais il souffre de s’être historiquement organisé par ministères et de l’être aujourd’hui toujours, analyse Yvon Alain, directeur de l’institut régional d’administration (IRA) de Bastia et vice-président du Réseau des écoles du service public. Il y a un besoin de décloisonnement et de pilotage général.” Car si les formations “métiers” sont souvent très pertinentes, celles permettant aux agents de construire leur projet professionnel sont parfois inexistantes. C’est l’un des enjeux de la nouvelle gestion RH de l’État, qui devait faire l’objet, six mois après son lancement, d’un séminaire interministériel en juin. Ce rendez-vous a été reporté à septembre, ce qui n’empêche pas la DGAFP d’être à la manœuvre. “Nous travaillons à sortir des logiques d’offres de formation ministérielles pour réfléchir plus largement à ce que sont les besoins en compétences et les évolutions des organisations”, explique le patron de la direction générale, Thierry Le Goff.

À ce stade, les coopérations interministérielles sont très abouties à l’échelon territorial, en grande partie grâce à l’instauration, dans la foulée de la loi de modernisation de la fonction publique de 2007, des plates-formes des ressources humaines (PFRH), lancées par la DGAFP. Placées sous l’autorité des préfets de région, elles proposent des plans de formation interministériels régionaux ouverts à l’ensemble des agents. Ces PFRH, qui en 2015 ont organisé 2 922 sessions de formations auprès de 28 000 agents, permettent clairement de doper les mobilités interministérielles et interfonctions publiques au sein des bassins d’emploi. Une réussite qui tranche avec les freins à la mobilité relevés à l’échelle des administrations centrales. “Peut-être faut-il réfléchir à l’instauration de PFRH au niveau des administrations centrales, glisse Thierry Le Goff. Ce sera l’une des étapes à franchir dans le cadre de l’instauration d’une DRH de l’État.”

Tenir compte des aspirations

Car c’est bien au niveau des ministères que le bât blesse, même si les mutualisations commencent à s’opérer, comme cette convention récemment signée entre le ministère de l’Environnement et la DGAFP, le premier s’engageant à ouvrir à tous les ministères des formations de coaching initiées en interne. Ces dernières années, la DGAFP a par ailleurs labellisé une trentaine d’actions de formation interministérielles, preuve que le décloisonnement est amorcé même s’il reste encore à mieux articuler les besoins du poste actuel et la préparation de celui à venir. “C’est l’intérêt de la concertation, estime le directeur de la DGAFP, que de trouver un équilibre entre l’adaptation au poste, la reconversion pour certains et l’évolution professionnelle dans la durée en tenant compte des aspirations des agents.” “Il est également important de connecter la formation avec le reste du processus, notamment en matière de recrutements et de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences”, prolonge Caroline Krykwinski, sous-directrice de l’animation interministérielle des politiques RH à la DGAFP. Pour pouvoir changer de métiers, relève-t-elle, il faut d’abord identifier ceux qui recrutent et quels sont leurs besoins en compétences.

“On se rend compte que plus le fonctionnaire progresse, moins il fait de la formation continue, ne se donnant pas le temps, a constaté la ministre de la Fonction publique, Annick Girardin, lors d’une audition récente à l’Assemblée nationale. Quand on a un certain nombre de responsabilités, on peut ne jamais trouver ce temps.” Peut-être faudrait-il rendre obligatoire la formation professionnelle, suggère en réponse Laurent Chambaud, directeur de l’École des hautes études en santé publique (EHESP) et président du Réseau des écoles du service public. Dans les hôpitaux publics, les cadres promus à une fonction de chefferie doivent suivre une formation statutaire. “Il faudrait généraliser ces formations à tous ceux qui sont susceptibles de changer de poste, propose Laurent Chambaud. Parce que sinon, faute de temps, ces formations passent à la trappe et c’est très regrettable.” Un changement culturel doit donc accompagner le travail d’harmonisation en cours.

L’évolution est en marche et il n’est pas interdit de rêver à une fonction publique où la formation permettra aux agents publics de postuler et de migrer d’une administration à l’autre, du niveau central vers l’échelon déconcentré, voire entre les trois versants du secteur public. Gouvernement et organisations syndicales s’accordent sur l’intention. Il reste à trouver les outils et la méthode.

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