François Ecalle : “Bercy et la Cour des comptes entretiennent un rapport de force perpétuel en matière d’audits”
27 juin 2017, PAR Laberrondo Pierre Acteurs publics
Alors que la Cour des comptes va rendre au gouvernement, le 29 juin, un audit sur les finances publiques, François Ecalle, aux manettes de l’audit de 2012, revient sur la difficile montée en puissance des magistrats financiers sur le sujet, mal acceptée par le ministère des Finances.
Comment le pouvoir politique en est-il venu à recourir à la Cour des comptes ?
En 1997, Lionel Jospin [alors Premier ministre, ndlr] a confié un audit des finances publiques à Jacques Bonnet et Philippe Nasse, deux membres de la Cour des comptes. Ces deux magistrats furent aussi sollicités par Jean-Pierre Raffarin en 2002. Mais l’audit de 1997, comme celui de 2002, avait été confié à ces deux magistrats intuitu personae et non à la Cour elle-même, ce qui a provoqué un débat en son sein à partir de 2003, à l’occasion de la mise en œuvre de la Lolf [loi organique relative aux lois de finances, ndlr]. D’une certaine façon, la Cour a été vexée que l’on ne lui demande pas cet audit à elle-même en tant qu’institution. Une partie de la Cour considérait, et certains de ses membres considèrent toujours, que sa mission est seulement d’examiner les comptes et la gestion des exercices passés et qu’elle doit éviter les débats économiques. Sur le plan juridique, une difficulté existait et n’a été résolue qu’avec la Lolf, par un article qui est incompréhensible et sur lequel s’appuie la Cour. Mais le ministère des Finances conteste la compétence de la Cour en matière de prévision et ne fait pas la même lecture de l’article en question. Pour Bercy, la Cour des comptes doit rester dans l’analyse des comptes du passé et ne pas aller sur le terrain des prévisions, même sur l’année en cours. Bercy et la Cour des comptes entretiennent un rapport de force perpétuel en matière d’audits.
Quelle utilisation le politique a-t-il fait de ces audits, en 1997 comme en 2002 ?
En 1997, période qui rappelle la situation actuelle de 2017, il fallait absolument revenir à un déficit inférieur ou égal à 3 % du PIB. À l’époque, il s’agissait de la condition pour créer l’euro. Le gouvernement Juppé avait affiché une prévision de 3 % de déficit pour 1997, mais le gouvernement Jospin se méfiait et l’administration de Bercy avait elle-même alerté en interne à plusieurs reprises sur le fait que ce serait difficile. L’audit a confirmé qu’on serait plutôt à 3,5 % qu’à 3. Le gouvernement a, dans le cadre d’une loi de finances rectificative, pris des mesures de redressement dans la foulée de l’audit : hausse de l’impôt sur les sociétés et économies sur les dépenses. En 2002, l’audit a montré que la prévision de déficit du gouvernement Jospin était sous-estimée et que le déficit serait plus élevé. Mais l’équipe Raffarin n’a pas du tout pris des mesures de redressement, en considérant que ce n’était pas très grave et a au contraire procédé à une baisse d’impôt – une promesse de campagne – dans le cadre d’une loi de finances rectificative. L’audit n’a pas eu beaucoup d’effet…
En 2007, Nicolas Sarkozy ne demande pas d’audit…
La question ne s’est pas posée car il n’y a pas eu d’alternance. La droite se succédait à elle-même. Mais entre-temps, la Cour des comptes a lancé, à partir de 2006, son propre rapport annuel sur la situation et les perspectives des finances publiques. Le rapport va monter en puissance sur ce sujet. Une montée en puissance très progressive et surtout très prudente. Lorsque j’ai été appelé, au début de 2008, à préparer le rapport prévu en juin, j’ai reçu pour consigne d’écrire “en style notarial”, par exemple écrire que le déficit augmente de x % et non qu’il s’aggrave. En particulier, les titres devaient être complètement plats, comme dans le rapport de 2007. Le rapport préparé mettait néanmoins en évidence, sans l’écrire ainsi, une aggravation de la situation en 2007, des risques réels pour 2008 et la nécessité d’une action durable sur les dépenses publiques. Quelques jours avant son approbation par la “chambre du Conseil” et sa publication, Philippe Séguin, alors Premier président de la Cour, a demandé qu’il soit réécrit pour faire clairement apparaître ce diagnostic, notamment dans les titres. Avec le recul, j’ai compris ensuite qu’il s’agissait d’une nouvelle orientation stratégique pour la Cour. On assumait les choses, avec une certaine force. Et le rapport est devenu plus “punchy”.
En 2012, François Hollande commande lui aussi un audit à la Cour…
Il avait annoncé durant sa campagne qu’il demanderait cet audit. C’était encore une époque ou Bercy refusait toujours de communiquer à la Cour des prévisions sur l’année en cours. À l’approche de la présidentielle, nous avons commencé à nous préparer en demandant les prévisions internes de Bercy pour l’année 2012, qui ne sont bien sûr pas celles qui sont publiées officiellement… Jusqu’au deuxième tour, Bercy a refusé. Après le second tour, nous y avons eu accès et nous avons pu montrer que l’estimation officielle était sous-estimée. La loi de finances rectificative du mois d’août en a tenu compte, avec un début de tour de vis fiscal. Depuis 2012, Bercy a continué d’afficher ses réticences sur les audits annuels de la Cour, hors le cas de celui commandé juste après l’élection présidentielle. Bercy donnait un peu plus d’information qu’avant 2012 pour les rapports annuels. L’enjeu reste entier pour 2018 et 2019 : hors audit post-élections, on retrouvera des réticences à communiquer les prévisions d’exécution de la direction du budget, qui remontent au ministre au mois d’avril-mai. Même chose pour les prévisions techniques de la direction générale du Trésor à Bercy.
Plusieurs ministres de l’époque ont estimé que François Hollande n’avait pas assez profité de l’audit et pas suffisamment dramatisé la situation pour mieux faire accepter certaines mesures…
L’audit a été très utilisé et les enjeux dramatisés. En revanche, il a servi pour des mesures de hausse des prélèvements obligatoires. L’erreur a été là, à mon sens. Un plan de redressement avec moins de hausse d’impôt mais plus d’économies sur les dépenses aurait été plus judicieux.
Comment analysez-vous le positionnement du gouvernement d’Édouard Philippe avant la remise du rapport de la Cour, prévue le 29 juin ?
La prévision actuelle, qui figurait dans le programme de stabilité transmis par le gouvernement Cazeneuve en avril dernier à la Commission européenne, était de 2,8 %. Les prévisions internes de Bercy ne sont sans doute pas autour de 2,8 %. Comme l’avait dit le Haut Conseil des finances publiques à l’automne dernier, le chiffre de 2,8 % paraît improbable. Depuis quelques jours, le Premier ministre est en train de préparer les esprits à des mesures de redressement, car la vraie prévision sera plutôt de 3,1 ou 3,2 %. Mais contrairement à ce qu’il s’est passé en 1997, le Premier ministre a d’ores et déjà annoncé qu’il n’y aurait pas de loi de finances rectificative. Donc, il n’y a pas moyen de jouer sur le levier fiscal, en augmentant certains impôts. Le gouvernement ne pourra jouer que sur les crédits budgétaires et sur les outils de régulation utilisés par la direction du budget à Bercy : gel, surgel et annulation de crédits.
De Bercy à la Cour des comptes
Magistrat de la Cour des comptes en disponibilité, François Ecalle anime le site Web d’information sur les finances publiques Fipeco. Lorsque Lionel Jospin a confié un audit des finances publiques à Jacques Bonnet et Philippe Nasse en 1997, il était sous-directeur des finances publiques à la direction de la prévision à Bercy. Lorsque Jean-Pierre Raffarin leur a confié un deuxième audit, en 2002, il était dans leur équipe d’auditeurs. Lorsque Jean-Marc Ayrault a demandé un audit à la Cour des comptes en 2012, François Ecalle était responsable depuis 2008 de la préparation du rapport annuel sur la situation et les perspectives des finances publiques, dans lequel cet audit a été intégré. Il l’est resté jusqu’à la fin de 2015 et sa mise en disponibilité.
Source:
https://www.acteurspublics.com/2017/06/27/francois-ecalle-bercy-et-la-cour-des-comptes-entretiennent-un-rapport-de-force-perpetuel-en-matiere-d-audits