« Les gestionnaires publics devraient être justiciables auprès des chambres régionales des comptes »
LE MONDE ECONOMIE | 14.07.2017 à 13h13 • Mis à jour le 14.07.2017 à 13h20 |
Par Vincent Sivré (président du Syndicat des juridictions financières) et Alain Stéphan (membre du Conseil supérieur des chambres régionales et territoriales.
Dans une tribune parue le 10 juillet dans Le Monde (« Monsieur le président, encore un effort pour moraliser la vie publique ! »), Thierry Dahan et Jean-Paul Tran-Thiet, membres du groupe Que faire ?, invitaient le président de la République à aller plus loin dans la « moralisation de la vie publique » en supprimant l’immunité dont bénéficient les ministres et les responsables exécutifs locaux devant la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF), juridiction chargée de sanctionner les manquements aux règles de la gestion publique.
Le régime actuel de responsabilité devant la CDBF est en effet peu efficace et inadapté. Tout d’abord, comme le soulignent les auteurs de l’article, elle n’est pas compétente à l’égard des ministres et des chefs d’exécutif locaux. Ce système profite également aux proches collaborateursdes élus puisqu’ils peuvent échapper à toute poursuite sur la simple présentation d’un ordre écrit par un maire, un président ou un ministre.
Ensuite, la CDBF n’a que très peu sanctionné : entre trois et huit arrêts par an depuis 2007. Les sanctions financières, lorsqu’elles sont prononcées, sont très légères et présentent ainsi un caractère très faiblement dissuasif. Il n’est guère étonnant, dans ces conditions, que cette juridiction soit restée à peu près inconnue des citoyens.
Régime actuel d’immunité inacceptable
« La Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) n’a que très peu sanctionné : entre trois et huit arrêts par an
depuis 2007 ». Pourtant, les prérogatives des élus locaux ont été considérablement renforcées par les différentes
vagues de décentralisation, alors même que les contrôles des préfets et des comptables publics sur leurs décisions se sont progressivement affaiblis. Quant aux chambres régionales des comptes, si elles relèvent très souvent de graves irrégularités dans la gestion publique locale, elles n’ont pas le pouvoir d’y mettre fin ni de les sanctionner. Le régime actuel d’immunité dont bénéficient les décideurs publics les plus importants paraît ainsi de moins en moins compréhensible et acceptable par le citoyen.
Nous proposons par conséquent de remplacer le dispositif actuel de responsabilité très limité devant la CDBF par un régime de responsabilité confié à la Cour et aux chambres régionales des comptes, dont seraient justiciables tous les gestionnaires publics, y compris les membres du gouvernement et les chefs d’exécutif locaux.
Destiné à sanctionner les seuls manquements aux règles d’exécution des dépenses et des recettes publiques, il serait plus adapté, par une stricte application du principe de proportionnalité, que les actuelles transmissions au parquet pénal – et leurs éventuelles médiatisations – pour prévenir et sanctionner les infractions à l’ordre public financier.
Constat sans suite
Toujours afin d’améliorer la probité et la régularité de l’action publique, le Syndicat des juridictions financières (http://sjfu.fr/) propose également de donner à la Cour et aux chambres régionales des comptes un pouvoir d’injonction sur les chefs d’administration et sur les chefs d’exécutif locaux. En effet, un sentiment diffus existe chez les citoyens que ces juridictions observent, déplorent, recommandent… sans aucun effet.
A force de constat sans suite, il est à craindre qu’elles contribuent autant à la défiance dans l’action publique qu’à y apporter des remèdes. Aussi, notre syndicat propose de doter la Cour et les chambres régionales des comptes d’un pouvoir de contrainte – assortie d’une sanction financière ou d’une astreinte en cas de refus de s’y conformer – afin qu’il soit mis fin à des irrégularités graves et continues.
Enfin, notre syndicat estime nécessaire de donner, sous conditions, aux citoyens et aux élus locaux la faculté de saisir directement leur chambre régionale des comptes.