La réforme de l’accès des énarques aux grands corps de l’État est reportée
Sylvain Henry a publié dans Acteur Publics daté du 26 avril l’article suivant:
Faute de temps et surtout de consensus, la réforme de l’accès des énarques aux grands corps de l’État est reportée, a annoncé la ministre de la Fonction publique Annick Girardin le 26 avril. Les résistances sourdes étaient fortes.
“L’accès aux grands corps est un sujet complexe qui suppose un minimum de consensus, et (ce consensus) n’est pas encore établi aujourd’hui…” La ministre de la Fonction publique Annick Girardin a diplomatiquement annoncé, mardi 26 avril, à l’occasion d’une audition à l’Assemblée nationale, le report de la réforme de l’accès des élèves de l’ENA aux grands corps de l’État. “Il faut un minimum de temps pour travailler sur cette question, a-t-elle justifié. J’avais l’intention de travailler sur ce sujet en arrivant (à la tête du ministère de la Fonction publique, Ndlr) mais en quelques mois, ce n’est pas raisonnable…”
Ou comment enterrer une réforme qui a provoqué en coulisses quelques très vives tensions depuis qu’elle a été initiée en septembre dernier par Marylise Lebranchu. Celle qui était alors ministre de la Fonction publique et de la Décentralisation lançait alors en toute discrétion un groupe de travail chargée de réfléchir aux modalités d’accès aux grands corps pour les élèves sortis de l’ENA et de proposer à Matignon “des mesures de réformes qui lui sembleront les plus nécessaires et les plus consensuelles”, expliquait le cabinet de Marylise Lebranchu à Acteurs publics. Actuellement, les 12 élèves sortis dans la “botte” se voient proposer d’intégrer des postes de choix au Conseil d’État, à la Cour des comptes et à l’Inspection générale des finances.
Plus difficile que prévu…
Le groupe de travail a rendu au gouvernement ses préconisations – non rendues publiques – en décembre, parmi lesquelles, selon nos informations, la fusion au sein d’un seul corps d’inspection générale interministérielle des corps de l’IGF, IGA et IGAS, les fusions de corps juridictionnels et le conditionnement de l’accès des hauts fonctionnaires des grands corps aux postes les plus élevés à une mobilité à dimension managériale. Des pistes quelque peu explosives… Le gouvernement devait trancher en janvier mais s’est donné le temps, devant certaines résistances sourdes.
“Même si notre champ d’investigation était limité aux affectations de l’ENA, ce sujet est beaucoup plus difficile à aborder que prévu, confiait Marylise Lebranchu début février à Acteurs publics. Je ne remets bien sûr pas en cause l’existence des institutions de l’État, certains ont cru que j’étais en train de refaire la loi fondamentale, ce n’est pas le cas !”“Elle ne veut pas lâcher, décryptait un haut fonctionnaire du ministère, mais les résistances corporatistes sont très, très fortes…”“La suffisance de certains très hauts fonctionnaires l’agace franchement”, ajoutait en “off” un membre de son entourage.
“C’est compliqué, mais je ne vais pas m’arrêter en chemin”, insistait Marylise Lebranchu, qui promettait de rédiger une note formulant toutes ses propositions, sur la base de laquelle elle entendait demander à chacun, du côté du Conseil d’État, de la Cour des comptes et des inspections générales interministérielles, de se prononcer. On ne sait pas si Marylise Lebranchu a eu le temps de rédiger cette note, puisqu’elle a été débarquée quelques jours plus tard.
On sait en revanche, désormais, que ses travaux resteront en l’état. “J’ai peu de temps, j’ai donc décidé qu’il n’était pas opportun de lancer ce chantier maintenant”, a déclaré le 26 avril Annick Girardin, glissant tout de même : “Mais je suis persuadé qu’il faudra y arriver un jour… ” Car de fait, il n’est pas question de temps dans cette affaire : le groupe de travail ayant rendu ses conclusions, il revenait au gouvernement de prendre position.Découvrez l’audition en vidéo d’Annick Girardin à l’Assemblée nationale (intervention sur les grands corps à la 11e minute)
Ce qu’a aussi dit Annick Girardin
La ministre a rappelé les trois piliers sur lesquels elle entend appuyer son action : laïcité, jeunesse et innovation. “La mobilité des fonctionnaires est l’une des composantes de l’innovation, a-t-elle souligné. Une mobilité entre ministères bien sûr, mais aussi entre les trois versants de la fonction publique et entre secteurs public et privé. Il faut des parcours professionnels davantage enrichis par ces mobilités et ces expériences.”
En matière de formation, Annick Girardin a indiqué que les plans managériaux qui doivent être prochainement remis par les ministères à Matignon serviront à lever quelques freins à la mobilité. “En décembre 2015, il a été demandé à la DGAFP (la direction généale de l’administration et de la fonction publique, ndlr) de mettre en place une DRH de l’État, qui sera amenée à travailler sur les enjeux des carrières et de formation continue (au sein) de la haute fonction publique. Cette DHR de l’État doit être ambitieuse dans son projet, peut-être plus ambitieuse encore que ce qu’a souhaité le Premier ministre.”
“On manque de courage managérial dans la fonction publique” a également déclaré Annick Girardin. On a des outils, mais pas de courage managérial. On ne sait pas dire à un haut fonctionnaire qu’il doit faire une pause pour faire une formation et se perfectionner.” En substance, la ministre préconise de renforcer le périmètre de la DGAFP aux dépens du poids RH des ministères. “Je suis tout à fait favorable à la rémunération au mérite (…), le mérite des agents doit être récompensé” , a-t-elle encore souligné.