Chères collègues, chers collègues,
A l’issue de leurs travaux en ateliers, les membres du syndicats, réunis en congrès, les 17 et 18 novembre dernier, ont décidé de rédiger un livre blanc consacré à l’avenir des juridictions financières. A cette fin, une équipe projet composée de 12 adhérents s’est réunie en séminaire le 13 mars, sous la conduite de Anne Beneteau et Carole Collinet, afin de définir le plan de ce livre blanc et d’en organiser la rédaction.
Les différents contributeurs se sont réunis à nouveau le mercredi 26 avril en conférence téléphonique afin de relire l’avant avant-projet, adapter – à la marge – le plan qui avait été établi lors du séminaire du 13 mars et organiser le processus de consultation des adhérents.
Cliquez sur l’icône pour télécharger l’avant-projet de livre blanc
L’avant-projet, baptisé « document martyr », vous est diffusé aujourd’hui par l’intermédiaire des délégués de section. Il est également disponible sur l’Intranet du syndicat. Il appartiendra à votre délégué de section d’organiser un débat au sein de votre section afin de renforcer l’adéquation de ce texte avec vos attentes tout en conservant le caractère réaliste et volontaire des propositions formulées, garant de la crédibilité de notre organisation syndicale.
Je vous demande à ce stade de consultation, d’en garantir la confidentialité.
Les observations, remarques, propositions d’amendement devront être adressées à l’équipe projet (courriel: livreblanc@sjfu.fr), par l’intermédiaire de votre délégué de section, avant fin mai, de façon à permettre la rédaction, début juin, d’un projet de livre blanc à soumettre, pour validation, au conseil national de notre organisation syndicale réuni le 20 juin 2017, à la Cour des comptes.
Je tiens tout à remercier tous les contributeurs et tout particulièrement Anne et Carole, pour leurs fortes implications ce qui a permis la production d’un avant-projet reprenant l’essentiel de nos propositions syndicales, sous une forme à la fois claire, structurée et concise.
Cet avant-projet de libre blanc, rédigé à plusieurs mains, est bien sûr perfectible, y compris dans sa rédaction. Vos contributions visant à l’améliorer sont les bienvenues.
Amitiés syndicales,
Vincent SIVRE
Avant-projet deLivre blanc des juridictions financières
Mai 2017
La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration
(article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen).
Nos 26 propositions
Le Syndicat des juridictions financières propose :
- de simplifier le régime de responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics, en remplaçant la double sanction (débet et somme non rémissible) par une sanction unique unifiée, intelligible et proportionnée à la gravité du manquement du comptable, toute contestation de la sanction prononcée par le juge initial n’étant possible que par la voie de l’appel ou de la cassation ;
- d’instituer un régime de responsabilité des gestionnaires publics devant les juridictions financières, à l’instar de ce qui existe dans d’autres pays de l’Union Européenne (Italie, Espagne, par exemple) ;
- de supprimer la Cour de discipline budgétaire et financière et transférer ses compétences à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes qui seraient compétentes pour connaître les affaires relevées dans le cadre des organismes soumis à leurs contrôles ; les recours en cassation seraient formés devant le Conseil d’État ;
- de supprimer le plancher d’amende actuellement en vigueur et porter le plafond d’amende au double de son montant actuel (traitement ou salaire brut annuel dans la plupart des cas) ;
- d’étendre la liste des justiciables aux membres du gouvernement et aux ordonnateurs élus locaux pour les décisions prises dans le cadre de leurs fonctions et par instructions écrites ;
- d’étendre la liste des infractions aux irrégularités dans des dépenses de comptabilité générale, aux manquements à l’obligation de déclaration à des organismes de sécurité sociale, à l’avantage injustifié à soi-même et au favoritisme non intentionnel dans le cadre de l’accès à la commande publique ;
- de proscrire aux juridictions financières, dans leurs missions administratives, de recourir à des recommandations pour inviter un ordonnateur à conformer ses actes de gestion aux lois et règlements de la République ;
- de doter les juridictions financières, dans leurs missions juridictionnelles, d’un pouvoir d’injonction de mise en œuvre sous astreinte, voire de sanction, éventuellement pécuniaire, en cas de manquements graves et répétés aux lois et règlements de la République ;
- de préciser les modalités d’intervention des CRC « en liaison avec la Cour » dans le cadre de l’expérimentation de la certification des comptes des collectivités territoriales ;
- d’expérimenter la production d’un rapport de synthèse régional sur les certifications faites par les commissaires aux comptes dans le ressort de la chambre ;
- d’instituer le publication annuelle d’un rapport régional par chaque chambre régionale et territoriale des comptes se prononçant sur le respect de l’ODELEL par les collectivités de son ressort ;
- de permettre le dessaisissement d’office, après auto-saisine de la chambre, du pouvoir budgétaire d’une collectivité ne respectant pas le plan de redressement arrêté par le préfet ;
- d’introduire une saisine budgétaire permettant de contester l’inscription au budget de dépenses hors compétences de la collectivité ;
- d’instaurer un mode de contrôle impliquant dès le début de la procédure, dans un cadre défini et une durée limitée, les partenaires publics d’une entité publique concernée par une politique publique locale (collectivités, syndicats, associations, services déconcentrés de l’État) ;
- de créer les conditions permettant un contrôle unique d’un EPCI et de ses communes membres ;
- de systématiser le partage des compétences de la Cour aux CRTC sur le contrôle de l’ensemble des administrations déconcentrées de l’État et autres organismes à implantation locale dans le cadre d’un contrôle thématique local ;
- de prévoir une procédure de contradiction adaptée à l’instruction de rapports thématiques ;
- d’instituer la publication de rapports publics annuels et de rapports publics particuliers par les CRTC ;
- d’inscrire la mission d’évaluation de mise en œuvre des politiques publiques au niveau local dans les compétences des CRTC;
- de coordonner la programmation, le suivi et la publication des évaluations de politiques publiques au sein d’une chambre transversale de la Cour où siègent, de droit, les présidents de chambre régionale et territoriale des comptes ;
- d’augmenter significativement le nombre de publications des juridictions financières (référés, rapport public annuel, rapports publics thématiques) traitant de l’évaluation d’une politique publique par les chambres régionales et territoriales des comptes ;
- de modifier la composition du collège de déontologie des juridictions financières ;
- de modifier la composition et le fonctionnement du Conseil supérieur des CRTC ;
- de modifier la composition et le fonctionnement de la mission permanente d’audit, de contrôle et d’inspection de chambres, sur le modèle des inspections générales des ministères ;
- de clarifier les modalités de recrutement des magistrats financiers et de renforcer la formation initiale à la prise de fonction ;
- d’instaurer un cadre transparent pour le recours à des rapporteurs en détachement entrant, avec un plafond d’emploi par chambre, et une procédure national de recrutement les concernant.
Un nouvel élan dans le processus continu de modernisation des juridictions financières
La nécessaire moralisation de la vie publique conduit à porter un regard renouvelé sur la mission de valeur constitutionnelle des juridictions financières : s’assurer du bon emploi des deniers publics.
Il y a dix ans, le Premier président, Philippe Seguin, formulait le projet d’unifier les chambres régionales des comptes et la Cour des comptes, d’en faire une juridiction unique en matière de surveillance et de sanction de la discipline budgétaire et financière, de créer des chambres interrégionales des comptes, et de renforcer le rôle de tous les magistrats financiers en matière d’évaluation des politiques publiques. Sa disparition en 2010 ne lui permit pas de mener à bien ce projet dont seuls certains des aspects furent mis en œuvre par Didier Migaud, son successeur.
Le Syndicat des juridictions financières unifié (SJFu) souhaite, par ses propositions réunies dans ce livre blanc, promouvoir un nouvel élan dans le processus continu de modernisation des juridictions financières.
A. Les juridictions financières, mobilisées pour la moralisation de la vie publique
Les atteintes à la probité publique sont aujourd’hui insuffisamment poursuivies et sanctionnées en France. Souvent annoncée, toujours différée, la moralisation de la vie publique est une nécessité. Les juridictions financières peuvent y contribuer si les pouvoirs législatif et exécutif les dotent d’outils juridiques et de moyens renforcés, à la hauteur de ceux dont disposent les décideurs publics et économiques en matière d’organisation, de dissuasion et de défense.
La moralisation de la vie publique ne saurait avoir pour effet de justifier, en matière de liberté, le recours à l’arbitraire. Il est nécessaire de garder une approche équilibrée. Le fonctionnement des institutions de la République doit obéir, dans toute la mesure du possible, aux principes de la séparation des pouvoirs, de légalité et de transparence qui fondent l’exercice de fonctions publiques ou de mandats électifs.
Les gestionnaires publics, qu’ils soient élus, fonctionnaires ou contractuels, doivent avoir un comportement exemplaire. Il leur revient d’être respectueux du droit, efficients, efficaces, économes des deniers publics, et à même de montrer au Parlement, au Gouvernement, aux collectivités locales et au citoyen – leurs interlocuteurs – la rigueur qu’ils attendent légitimement d’eux.
B. Un projet en phase avec l’approfondissement de la décentralisation
La récente réforme territoriale a renforcé les régions, créé les métropoles et redéfini les compétences des collectivités territoriales.
Moins nombreuses mais plus fortes, les régions sont en charge de la coordination sur leur territoire de toutes les actions en faveur de l’économie et de l’animation des pôles de compétitivité. Elles pilotent toutes les politiques en matière de transport par trains express régionaux, ainsi que les transports interurbains. Elles disposent de l’autorité de gestion des fonds européens depuis 2014. Elles sont pleinement responsables en matière de formation professionnelle depuis le 1er janvier 2015.
Afin d’améliorer l’efficience des politiques publiques en limitant les cofinancements, la loi NOTRe supprime la clause générale de compétences pour les régions ainsi que pour les départements. Cette disposition législative donnait aux collectivités un pouvoir d’initiative pour développer de nouvelles politiques, en dehors de leurs compétences obligatoires.
Le statut de métropole – établissement public également soumis au principe de spécialité – créé le 16 décembre 2010 et renforcé par la loi du 27 janvier 2014, est un maillon essentiel de la réforme territoriale. Les aires métropolitaines françaises représentent aujourd’hui près de 25 millions d’habitants et concentrent plus de la moitié du produit intérieur brut. Ces villes dynamiques, ouvertes sur le monde, terres d’accueil de populations diverses, sièges de grands centres universitaires ou de recherche, d’équipements structurants et de pôles culturels, sont des terres d’innovation et de changement.
Les ressorts des chambres régionales et territoriales des comptes ont été regroupés dès 2012. En 2016, leur recomposition s’est conformée à la nouvelle carte régionale. En revanche, ni les compétences ni les procédures des juridictions financières n’ont été adaptées à l’accroissement considérable du poids politique de ces nouvelles entités publiques régionales comme au nécessaire contrôle du respect du principe de spécialité par leurs ordonnateurs.
C. Un projet cohérent avec le rôle des juridictions financières de contrôle de la trajectoire des finances publiques
Il y a 25 ans, la France s’est engagée vis-à-vis de ses partenaires européens à respecter deux critères : un déficit public annuel qui ne devrait pas excéder 3 % du PIB ; une dette publique qui devrait rester inférieure à 60 % du PIB. Or ses dépenses publiques rapportées à son PIB sont parmi les plus élevées de l’Union européenne (UE) et, en dépit des efforts consentis, restent nettement supérieures à la moyenne de la zone euro.
La plupart des agrégats statistiques utilisés dans le cadre de la gouvernance économique de UE, notamment la trajectoire des finances publique, dont les objectifs sont précisés dans les lois de programmation des finances publiques, introduites à l’article 34 de la Constitution lors de la révision du 23 juillet 2008, sont définis en référence au Système Européen des Comptes de 2010. Celui-ci est appelé à se substituer graduellement à tout autre système en tant que cadre de référence des normes, définitions, nomenclatures et règles comptables communes, destiné à l’élaboration des comptes des États membres pour les besoins de l’Union, permettant ainsi d’obtenir des résultats comparables entre les États membres.
Les juridictions financières doivent se réapproprier ces définitions et s’organiser afin d’assurer un contrôle raisonnable de tous les risques portés par les administrations publiques. Les compétences respectives de la Cour des comptes et des chambres régionales et territoriales des comptes en seront ainsi clarifiées.
D. Conséquences en termes de missions pour les JF
Les juridictions financières ont vocation à constituer une véritable Autorité publique de contrôle, d’audit et d’évaluation, indépendante tant du pouvoir exécutif que du pouvoir législatif.
Leurs missions sont de natures administratives et juridictionnelles.
Au titre de leurs missions administratives, elles contrôlent la gestion des administrations publiques, elles s’assurent que leurs comptes sont réguliers, sincères et donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière, soit en les certifiant elles-mêmes, soit en rendant compte aux assemblées délibérantes de la qualité des comptes dont elles n’assurent pas la certification, elles informent les citoyens, de façon complète, exacte et facilement accessible, sur l’exécution des budgets, et elles participent à l’évaluation des politiques publiques pour assurer un contrôle et un processus décisionnel efficaces.
Au titre de leurs missions juridictionnelles, elles contribuent à la moralisation de la vie publique par la répression autre que pénale des manquements des gestionnaires publics aux règles des finances publiques, jugent les comptes des comptables publics, rétablissent l’équilibre des budgets des administrations publiques locales, de la sécurité sociale, et proposent l’inscription de dépenses obligatoires aux budgets de ces dernières.
Les propositions d’adaptation aux enjeux sont détaillées dans les parties suivantes et supposent, au préalable, une redéfinition des responsabilités des acteurs publics, notamment de celles des ordonnateurs.
I. Instituer un véritable principe de responsabilité des gestionnaires publics
A. Un régime de responsabilité des comptables publics aujourd’hui peu adapté à la lutte contre les atteintes à la probité
1. Le régime actuel de responsabilité nécessite a minima d’être conforté par une mise en cohérence et une simplification
Le régime de responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics conserve toute son utilité dans la sauvegarde des deniers publics, c’est à dire pour assurer le contrôle des dépenses avant leur paiement et garantir le recouvrement des recettes. Toutefois, le jugement des comptes, tel qu’il est pratiqué aujourd’hui, s’est éloigné de la réalité de l’action quotidienne des comptables publics :
- En recettes, le régime actuel de responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics peut conduire à faire endosser au comptable une responsabilité de principe qui ne correspond pas à ses possibilités réelles d’action : le respect de ses obligations pour permettre le recouvrement des recettes est limité par les moyens financiers et humains dont il dispose ;
- En dépenses, l’extension continue du contrôle sélectif conduit le comptable à endosser fréquemment une responsabilité sur des dépenses qu’il n’a pas, dans les faits, contrôlées ;
- Le jugement des comptes n’est réellement utile qu’en ce qu’il peut conduire, à travers le contrôle des comptables, à modifier le comportement de l’ordonnateur et de l’organisme public. Aussi, le vrai objectif du jugement des comptes n’est atteint que de manière indirecte.
En outre, le régime actuel des sanctions n’est plus inadapté à ses finalités :
- La responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics s’applique « outre la responsabilité attachée à leur qualité d’agent public », c’est-à-dire en sus des sanctions qu’ils encourent en tant que fonctionnaires, au terme d’une procédure disciplinaire classique. Cette disposition n’évite que dans une certaine mesure, l’application de la règle du « non bis in idem » en cas de sa mise en jeu concomitamment à une sanction disciplinaire, civile, voire pénale ;
- Le jugement des comptes conduit à différentier le statut civil (le débet) et pénal (la somme non rémissible) des différentes sanctions appliquées sans véritable justification ;
- Le jugement des comptes donne l’image d’une justice excessivement bienveillante (montant faible, voire ridicule, des sommes non rémissibles) ou dépourvue d’effet (remises gracieuses), dernier exemple de justice retenue en vigueur dans notre pays ;
- Le coût induit de l’instruction, qui mobilise longuement les magistrats du siège comme du parquet, est disproportionné au regard du montant du préjudice financier en cause.
Il est donc proposé :
- a minima, de simplifier le régime de responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics, en remplaçant la double sanction (débet et somme non rémissible) par une sanction unique unifiée, intelligible et proportionnée à la gravité du manquement du comptable, toute contestation de la sanction prononcée par le juge initial n’étant possible que par la voie de l’appel ou de la cassation.
2. Un régime qui pourrait être rénové en instaurant une réelle responsabilité des gestionnaires publics
Les manquements à la fiabilité ou la sincérité des comptes ne conduisent pas à mettre en jeu la responsabilité personnelle et pécuniaire, sinon par la question de l’exacte imputation des dépenses, cas très marginal. La fiabilité et la sincérité sont aujourd’hui l’affaire soit de l’examen de la gestion soit de la certification des comptes. L’objet du jugement des comptes n’est pas compris par les citoyens :
- Le motif des sanctions de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics n’est pas compris par le public, intéressé essentiellement par la sanction d’une faute personnelle ;
- La gestion de fait sanctionne des situations qui relèvent, pour l’essentiel, du défaut de l’organisation administrative, parfois, de manquements à la probité ; il est difficile de distinguer la part de l’un et de l’autre. De plus, au-delà de ces concepts théoriques, les cas sont très rares ;
- Malgré les efforts de pédagogie déployés dans les publications des juridictions financières, le jugement des comptes n’a guère suscité l’intérêt du grand public. Le jugement des comptes ne bénéficie pas non plus de la visibilité du juge pénal lorsqu’il statue sur des affaires financières ;
- Dans les revues juridiques, la doctrine se montre également beaucoup moins intéressée par le droit financier classique que par le droit civil ou le droit administratif. Pour le citoyen, l’enjeu parait bien limité et les arcanes de ce droit en limitent l’accès.
Plusieurs réformes récentes conduisent déjà à l’atténuation de la séparation des tâches entre les ordonnateurs et les comptables, principe prudentiel moins structurant aujourd’hui qu’hier :
- En recettes, la fusion des directions générales de la comptabilité publique et des impôts, en 2008, afin d’offrir un interlocuteur fiscal unique pour les particuliers, a regroupé l’administration chargée de l’assiette et du calcul de l’impôt et celle chargée du recouvrement ;
- En dépense, des services facturiers, qui constituent de centres de traitement et paiement uniques des factures pour le compte d’un ou plusieurs services, ont été créés afin d’améliorer la fluidité du circuit de la dépense en rationalisant les contrôles, et permettent notamment la liquidation de la dépense par le comptable, mission en principe dévolue à l’ordonnateur ;
- La conclusion de plus en plus fréquente de conventions de partenariat entre les ordonnateurs et les comptables conduit à la mise en place de dispositifs prudentiels plus performant en terme de fiabilité des comptes, notamment le contrôle interne, que la seule séparation des tâches ;
- Par ailleurs, la loi du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises a élargi les conditions dans lesquelles les collectivités territoriales peuvent confier à un tiers le paiement de certaines dépenses, et leur a également permis de confier à un tiers l’encaissement de certaines recettes.
Il est donc proposé :
- d’instituer un régime de responsabilité des gestionnaires publics devant les juridictions financières, à l’instar de ce qui existe dans d’autres pays de l’Union Européenne (Italie, Espagne).
B. L’institution d’une véritable responsabilité des gestionnaires publics passe par la réforme de la Cour de discipline budgétaire et financière
1. Les constats
Le premier impératif qui s’impose au gestionnaire public est celui du respect de la règle de droit. La sanction des irrégularités et des fautes de gestion constitue en ce sens une dimension fondamentale d’une meilleure gestion publique.
Il existe actuellement, en droit public financier, une dichotomie entre la responsabilité des comptables publics, sanctionnée par le contrôle juridictionnel de la Cour des comptes et des chambres régionales et territoriales des comptes, et la responsabilité des gestionnaires de deniers publics dont le contrôle relève d’une autre juridiction financière : la Cour de discipline budgétaire et financière. Ce système de contrôle présente un certain nombre d’imperfections si l’on en juge par son bilan :
- les membres du gouvernement (Premier ministre, ministres et secrétaires d’État) et les ordonnateurs locaux (maires, présidents d’établissements publics locaux, de conseils départementaux et régionaux) ne sont pas justiciables devant la CDBF. Ils ne sont pas responsables des actes et décisions pris dans le cadre de leurs fonctions et contraires aux normes du droit public financier : le fait, par exemple, d’engager une dépense irrégulièrement, de procurer à autrui un avantage injustifié, ou de porter atteinte à un organisme public par des agissements manifestement incompatibles avec ses intérêts ;
- les sanctions applicables, lorsqu’elles existent, sont actuellement peu dissuasives et présentent généralement un caractère symbolique ce qui constitue un facteur d’inefficacité dans le système de responsabilité des gestionnaires et n’incite pas les juridictions financières à s’engager dans des procédures supplémentaires et donc coûteuses pour le contribuable ;
- l’existence d’une distinction organique entre la Cour, les CRTC et la CDBF constitue, en soi, un facteur d’inefficacité procédurale : la CDBF, bien que rattachée à la Cour des comptes, est composée de magistrats de la Cour des comptes et de membres du Conseil d’État, le ministère public près la Cour est assuré par le procureur général de la Cour des comptes, et l’instruction des affaires est généralement confiée à des rapporteurs par ailleurs magistrats de la Cour des comptes et des CRTC. Cette distinction organique et le fait que les membres et rapporteurs de la Cour le soient exclusivement à temps partiel rendrait très difficile à cette juridiction de traiter un grand nombre d’affaires. La CDBF produit, de fait, moins d’une dizaine de décisions chaque année ;
- la liste des incriminations relevant de la CDBF ne couvre pas certains faits qui constituent pourtant des irrégularités ou fautes de gestion éminemment préjudiciables aux organismes et finances publics. Il en est ainsi, par exemple, des irrégularités comptables non budgétaires, des manquements aux obligations de déclaration aux organismes de sécurité sociale, du fait de vouloir se procurer un avantage injustifié à soi-même, ou d’ordonner des dépenses dans un domaine ne relevant pas, explicitement, de la compétence de l’organisme public, etc.
De surcroît, le fait que les observations et recommandations des juridictions financières ne débouchent presque jamais sur une sanction ne donne pas l’image d’une institution moderne et efficace.
Une réforme du régime de responsabilité juridictionnelle des gestionnaires, pour en faire un système efficace et effectif, est indispensable.
2. Les propositions du SJFu
Au regard de ces constats, le syndicat des juridictions financières propose des évolutions majeures veillant toutefois au respect des principes et garanties résultant de la Constitution de la République française, de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il va de soi que ces évolutions ne remettent pas en cause la compétence de l’autorité judiciaire pour juger les infractions pénales, et se conforment aux principes du procès équitable et du Non bis in idem.
Dans cet esprit, il est proposé de :
- de supprimer la Cour de discipline budgétaire et financière et transférer ses compétences à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes qui seraient compétentes pour connaître les affaires relevées dans le cadre des organismes soumis à leurs contrôles ; les recours en cassation seraient formés devant le Conseil d’État ;
- de supprimer le plancher d’amende actuellement en vigueur et porter le plafond d’amende au double de son montant actuel (traitement ou salaire brut annuel dans la plupart des cas) ;
- de détendre la liste des justiciables aux membres du gouvernement et aux ordonnateurs élus locaux pour les décisions prises dans le cadre de leurs fonctions et par instructions écrites ;
- d’étendre la liste des infractions aux irrégularités dans des dépenses de comptabilité générale, aux manquements à l’obligation de déclaration à des organismes de sécurité sociale, à l’avantage injustifié à soi-même, au favoritisme non intentionnel dans le cadre de l’accès à la commande publique.
En termes de procédure, les rôles du siège et du parquet devront être simplifiés et clarifiés au regard de la procédure actuelle devant la CDBF, lourde et complexe.
C. Doter les juridictions financières de pouvoirs d’injonction
La formulation de recommandations en complément des observations est une pratique récente des juridictions financières et n’a été dotée d’une assise légale que très récemment, d’abord pour la Cour, puis pour les chambres régionales. Ces observations et recommandations des chambres suscitent cependant de la déception chez le lecteur car elles donnent l’impression qu’elles ne débouchent sur rien.
En outre, ces observations et recommandations sont de deux ordres assez distincts. Certaines concernent la bonne gestion des organismes publics. Les observations contiennent donc, implicitement ou explicitement, des recommandations pour l’améliorer. Elles ne peuvent donner lieu qu’à de simples recommandations. Les juridictions financières ne sauraient imposer leurs solutions.
D’autres concernent la légalité des actes des organismes publics. Elles sont d’ailleurs parfois dénommées « rappel à la loi ». Il n’y a guère de sens à recommander le respect de la loi, dès lors que celui-ci s’impose. Le juge financier doit pouvoir enjoindre les gestionnaires publics de mettre fin à des irrégularités, lorsqu’elles sont graves et répétées.
Il est donc proposé :
- de proscrire aux juridictions financières, dans leurs missions administratives, de recourir à des recommandations pour inviter un ordonnateur à conformer ses actes de gestion aux lois et règlements de la République ;
- de doter les juridictions financières, dans leurs missions juridictionnelles, d’un pouvoir d’injonction de mise en œuvre sous astreinte, voire de sanction, éventuellement pécuniaire, en cas de manquements graves et répétés aux lois et règlements de la République.
II. Contribuer à l’efficience de la gestion publique
A. Des missions sans cesse élargies
1. Une diversification accrue des missions et des organismes contrôlés
Les chambres régionales des comptes ont compétence pour contrôler les comptes et la gestion des collectivités territoriales et des établissements publics locaux, mais également des organismes auxquels participent les collectivités et leurs établissements publics : groupements d’intérêt public, entités subventionnées, délégataires de service public (articles L. 211-4 et suivants du CJF). Par délégation de la Cour des comptes, les CRC contrôlent également les établissements publics de santé, et, sur le fondement de l’article 109 de la loi n° 2016-41 du 21 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, les personnes morales de droit privé à caractère sanitaire, social ou médico-social financées par une collectivité territoriale, un établissement public ou un groupement d’intérêt public.
Les CRTC exercent également une mission de contrôle budgétaire. En effet, les budgets des collectivités territoriales et leurs groupements sont soumis à la règle de l’équilibre réel. Une telle astreinte n’empêche pas toujours le recours à un endettement insoutenable pour ces structures. Les avis et les décisions budgétaires des CRTC, pris sur le fondement des articles L. 232-1 et suivants du CJF, s’inscrivent dans ce processus de contrôle des actes budgétaires et d’exécution des budgets. Les budgets des établissements publics locaux d’enseignement ou leurs équivalents, des établissements publics de santé, en dépit de leurs spécificités, n’échappent pas à des contrôles du même ordre.
De surcroît, le législateur a confié récemment aux CRTC de nouvelles missions d’accompagnement des collectivités dans leur mouvement de réorganisation et modernisation. Outre le rôle qu’elles jouent dans l’expérimentation de certification des comptes locaux, afin de dresser un audit préalable de leur comptabilité, la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles a confié au président de la CRC, ou son représentant, la présidence des commissions locales chargées de l’évaluation des charges et des ressources transférées, au risque de compromettre l’indépendance de la juridiction dans l’exercice de ses missions administratives et juridictionnelles.
2. L’expérimentation de la certification des comptes des collectivités locales
L’article 110 de la loi du 7 août 2015 prévoit l’expérimentation de la certification des comptes du secteur public local sous la conduite de la Cour des comptes, en liaison avec les chambres régionales des comptes, sur la base du volontariat des collectivités et de leurs groupements, avec un bilan au terme de huit ans d’application. Vingt-cinq collectivités (une à trois par région) se sont portées volontaires et ont conclu chacune une convention avec la Cour de comptes.
Cette expérimentation constitue un préalable à la certification des comptes du secteur public local. Elle porte sur la nature des états financiers, les normes comptables applicables, le déploiement du contrôle interne comptable et financier ou encore les systèmes d’information utilisés.
L’expérience de la certification des comptes de l’État et de la Sécurité sociale, par la Cour des comptes, comme la synthèse annuelle et les avis qu’elle formule sur la qualité des comptes certifiés des universités, permettent de tirer des enseignements quant à la valeur ajoutée des juridictions financières en matière de certification, tout comme le contrôle des comptes et de la gestion que mènent les chambres régionales des comptes sur des entités déjà certifiées (hôpitaux, sociétés d’économie mixte locales, associations, chambres consulaires). Un référentiel de contrôle pourra être élaboré sur ces bases, comme le pratiquent d’autres Institutions supérieures de contrôle de par le monde.
La mise en œuvre de la certification des comptes des plus grandes collectivités territoriales, à terme, pourrait faire intervenir les juridictions financières selon différents scénarios, du plus participatif (réalisation de la certification, définition des règles de certification) au moins participatif (synthèse annuelle sur les certifications faites par les commissaires aux comptes, examen de la certification dans le cadre des contrôles des comptes et de la gestion des entités). Avant de se prononcer sur ces évolutions, il semble que les textes attribuent un rôle subsidiaire aux CRTC et il conviendra, au préalable, de préciser ce que la loi entend par l’intervention des CRTC « en liaison avec la Cour ».
Au terme du processus, rien ne s’opposerait à la publication d’un rapport de synthèse régional dressant le bilan des comptes certifiés, sur le modèle des rapports publiés par la Cour.
Il est donc proposé :
- de préciser les modalités d’intervention des CRTC « en liaison avec la Cour » dans le cadre de l’expérimentation de la certification des comptes des collectivités territoriales ;
- d’expérimenter la production d’un rapport de synthèse régional sur les certifications faites par les commissaires aux comptes dans le ressort de la chambre ;
3. Renforcer le contrôle du respect de la trajectoire financière
Les contrôles des juridictions financières, et plus particulièrement ceux des CRTC, tant au titre de leurs missions spécifiques que par délégation de certaines compétences de la Cour des comptes, portent sur des masses financières importantes et croissantes. Ainsi, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) inscrit dans la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2015 s’élevait à 182,3 Md€ dont 75,1 Md€ à destination des établissements de santé et 17,5 Md€ pour les établissements médico-sociaux (ESMS), sur 456 Md€ de prestations versées au total en 2015 soit 20,9 % du produit intérieur brut. Les administrations publiques locales (APUL) qui comprennent les collectivités locales et les organismes divers d’administration locale (ODAL), représentaient en 2015 249,3 Md€ soit 20 % des dépenses publiques.
« En leur qualité d’administrations publiques locales, les collectivités territoriales et leurs groupements sont concernés, au même titre que l’État et les organismes de sécurité sociale, par le respect des engagements européens de la France en matière de redressement des comptes publics. L’évolution des dépenses des APUL et de leur solde est intégrée aux lois de programmation des finances publiques et aux programmes annuels de stabilité. L’implication des collectivités territoriales et de leurs groupements dans le redressement des comptes publics se justifie aussi par l’importance des transferts financiers de l’État (103 Md€ en 2015) dont elles bénéficient » [1]. La loi n° 2014-1653 du 29 décembre 2014 de programmation des finances publiques a fixé des objectifs d’évolution de la dépense publique locale pour les années 2014 et 2019 : l’article 11 dispose que « les collectivités territoriales contribuent à l’effort de redressement des finances publiques, selon des modalités à l’élaboration desquelles elles sont associées ». L’objectif d’évolution de la dépense publique locale (ODELEL), exprimé en pourcentage d’évolution annuelle et à périmètre constant, est déterminé après consultation du comité des finances locales et fait l’objet d’un suivi national, en lien avec ce comité. Il est un outil d’analyse et de prévision de la dépense locale qui reste à développer, au-delà de la mission de contrôle budgétaire traditionnelle des CRTC. Si les principes d’autonomie et de libre administration des collectivités territoriales et leurs groupements sont inscrits dans la Constitution, ils ne s’exercent que dans le cadre des compétences de ladite collectivité et dans les limites de normes supérieures, toujours sous le contrôle du juge administratif ou relevant, dans certaines circonstances, des juridictions financières. Les CRTC pourraient participer plus activement au suivi de l’ODELEL, à la fois dans un cadre macro-économique mais aussi dans celui de la suppression de la clause générale de compétences pour les départements et les régions.
L’extension des missions des juridictions financières par des textes récents, dont l’expérimentation de la certification des comptes des collectivités territoriales ou l’extension des missions de contrôle des juridictions financières aux établissements privés de santé participent du processus visant le renforcement du contrôle de l’efficience de la gestion des finances publiques.
Il est donc proposé :
- d’instituer le publication annuelle d’un rapport régional par chaque chambre régionale des comptes se prononçant sur le respect de l’ODELEL par les collectivités de son ressort ;
- de permettre le dessaisissement d’office, après auto-saisine de la chambre, du pouvoir budgétaire d’une collectivité ne respectant pas le plan de redressement arrêté par le préfet ;
- d’introduire une saisine budgétaire permettant de contester l’inscription au budget de dépenses hors compétences de la collectivité.
B. Le modèle traditionnel des juridictions financières, fondé sur le contrôle organique, est confronté à la redéfinition des compétences territoriales et à la régionalisation de l’action publique
La reconfiguration de la décentralisation, à l’œuvre depuis 2014, impose une réflexion sur les voies et moyens du contrôle organique traditionnel, et peut susciter un débat sur la finalité même de l’examen de la gestion tel qu’envisagé depuis l’origine. En matière de politiques publiques mises en œuvre au niveau régional ou métropolitain (comme les transports, les équipements sportifs, le développement urbain, la protection de la biodiversité), interviennent non seulement la collectivité en titre ou chef de file, mais également des financeurs publics (État, agences nationales, autres niveaux de collectivité), des services régulateurs (AAI, services déconcentrés de l’État), des parties prenantes diverses (opérateurs industriels soumis à tarifs réglementés, délégataires de service public).
Actuellement, les juridictions financières ne sont pas organisées pour contrôler la mise en œuvre de politiques publiques à un niveau infranational. Les CRC contribuent aux enquêtes réalisées dans le cadre de formations inter juridictions (FIJ), qui portent sur la mise en œuvre d’une politique publique à l’échelle nationale, en adjoignant au contrôle organique classique de collectivités territoriales, un volet consacré à ladite politique. Ces enquêtes donnent lieu à la publication, par la Cour des comptes, de rapports de synthèse, les rapports publics thématiques, focalisés sur les principaux enseignements tirés des observations au niveau national. Des fragilités ou particularités spécifiques à une région n’ont pas vocation à être délibérées longuement dans des FIJ qui comprennent des participants venant de plusieurs CRC et de la Cour, et les rapports publiés s’efforcent de produire une analyse globale qui fait peu de place aux singularités régionales
La publication de rapports thématiques ou d’enquêtes régionaux issus de ces travaux communs est peu développée par la Cour des comptes qui craint l’incohérence que pourraient revêtir des constats et recommandations formulées par différentes CRC sur un même sujet. L’enquête menée par une chambre régionale seule ne peut aujourd’hui trouver que deux débouchés : un encart dans le rapport d’activité annuelle de la chambre, sous forme de synthèse, ou une insertion dans le rapport public annuel de la Cour, sous le contrôle du Comité du rapport public et des programmes de la Cour.
Par ailleurs, la finalité du contrôle d’une collectivité territoriale doit être repensée, pour inclure l’examen thématique de l’exercice d’une compétence phare dans un rapport organisé autour de la régularité et du bon emploi des deniers publics. En telle hypothèse, les chambres devraient être à même de contrôler les déclinaisons locales des politiques publiques, en conduisant des contrôles transversaux portant sur tous les acteurs : collectivités, financeurs, services régulateurs, éventuellement étatiques. Ainsi, les chambres seraient à même de formuler des observations portant sur la stratégie et la conduite des politiques publiques régionalisées plus pertinentes pour les ordonnateurs concernés.
Une telle démarche de contrôle suppose de modifier les textes applicables, non pour supprimer le contrôle organique, mais pour lui ajouter la possibilité d’un contrôle simultané de multiples acteurs, en s’attachant aux points suivants :
1° La limitation du contrôle au seul périmètre de la collectivité ralentit la collecte des informations et empêche de traiter tous les aspects d’une politique dans laquelle, par exemple, la région ne serait que chef de file. Par ailleurs, les textes imposent en fin de procédure une phase de contradiction avec toutes les entités nominativement ou explicitement mises en cause par les observations provisoires. Intégrer dès le départ toutes les parties à l’instruction serait une façon plus efficace de conduire la procédure.
2° Si la finalité du contrôle devient l’examen de la mise en œuvre d’une politique publique territorialisée, la production attendue de la chambre régionale des comptes change de nature.
Il ne s’agit pas à cet effet de substituer purement et simplement à l’examen de la gestion une évaluation de politique publique (voir infra, partie IV). Il s’agit de peser les conséquences pour la production des CRTC d’une démarche désormais transversale, instruisant une problématique sur un territoire entier.
L’examen de la gestion, consacré à une politique mise en œuvre au niveau régional, serait ainsi enrichi d’un volet comparatif, ainsi que d’une analyse élargie à la performance matérielle des moyens mis en œuvre, qui dépassent la simple « bonne gestion » des deniers publics.
Une production de cette nature s’appuierait sur les observations tirées des rapports locaux, mais irait bien au-delà d’une simple synthèse et supposerait d’aller chercher l’information pertinente où elle se trouve. Elle trouverait sa légitimité dans le fait que le législateur a souhaité donner aux collectivités un rôle de chef de file pour certaines politiques publiques : si une politique peut être déclinée régionalement du point de vue opérationnel, pourquoi ne pourrait-elle pas l’être du point de vue du contrôle ?
Elle supposerait également un mode de publicité adapté : encart dans le rapport d’activité de la chambre, rapport thématique dédié. Les procédures mises en œuvre seraient à redéfinir, notamment en termes de contradiction.
Il est donc proposé :
- d’instaurer un mode de contrôle impliquant dès le début de la procédure, dans un cadre défini et une durée limitée, les partenaires publics d’une entité publique concernée par une action publique locale (collectivités, syndicats, associations, services déconcentrés de l’État) ;
- Créer les conditions permettant un contrôle unique d’un EPCI et de ses communes membres ;
- Systématiser le partage des compétences de la Cour aux CRTC sur le contrôle de l’ensemble des administrations déconcentrées de l’État et autres organismes à implantation locale dans le cadre d’un contrôle thématique local ;
- Prévoir une procédure de contradiction adaptée à l’instruction de rapports thématiques ;
- Instituer la publication de rapports publics annuels et de rapports publics particuliers par les CRC.
C. Des moyens à adapter
Les juridictions financières, et les CRTC en particulier, font ainsi face à un accroissement de leurs missions, qu’il s’agisse d’un élargissement du périmètre des entités contrôlées que de nouvelles compétences attribuées par le législateur ou par délégation de la Cour des comptes. Le renforcement de la place et des missions des juridictions financières ne doit cependant pas signifier le renoncement aux compétences ou aux organismes traditionnellement contrôlés. En effet, les masses financières de certains organismes parmi lesquels les collectivités territoriales les plus grandes, justifient un contrôle de gestion régulier et un appui renforcé lorsqu’il s’agit d’expérimentatrices de la certification. Par ailleurs le rôle des chambres régionales des comptes, notamment dans le cadre du contrôle budgétaire sur des organismes dont les ressources financières sont sensiblement plus faibles, témoigne de leur place essentielle pour la prévention de certains risques juridiques et budgétaires.
En 2016, les chambres régionales des comptes regroupaient près de 59 % des effectifs des juridictions financières (et plus de 63 % des personnels de contrôle), soit 1 017 agents dont 346 magistrats rapporteurs, appuyés d’un nombre proche de vérificateurs. Cour et CRTC totalisaient 1 729 agents dont 1 384 personnels de contrôle (565 magistrats) et d’appui au contrôle (819 experts et vérificateurs).
Tableau n° 1 : évolution de l’effectif de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes
|
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
Cour des comptes |
Premier président, Procureur général et Présidents de chambre |
10 |
10 |
10 |
10 |
10 |
Secrétaires généraux, avocats généraux |
8 |
8 |
8 |
8 |
8 |
Autres magistrats et personnel de contrôle (1) |
411 |
423 |
423 |
412 |
408 |
Personnel administratif |
271 |
273 |
284 |
285 |
286 |
dont appui au contrôle (2) |
83 |
88 |
98 |
102 |
111 |
Total Cour |
700 |
714 |
725 |
715 |
712 |
Chambres régionales et territoriales des comptes |
Présidents et vice-présidents |
24 |
23 |
24 |
24 |
24 |
Autres magistrats et personnel de contrôle |
637 |
649 |
703 |
688 |
705 |
Personnel administratif |
390 |
323 |
323 |
302 |
288 |
dont appui au contrôle (2) |
161 |
128 |
126 |
125 |
118 |
Total CRTC |
1 051 |
995 |
1 050 |
1 014 |
1 017 |
Total Cour et CRTC |
1 751 |
1 709 |
1 775 |
1 729 |
1 729 |
dont contrôle et appui au contrôle |
1334 |
1329 |
1392 |
1369 |
1384 |
dont administratif (hors appui au contrôle) |
417 |
380 |
383 |
360 |
345 |
- hors rapporteurs à temps partiel
- soit, à la Cour : personnels des greffes, de la documentation, de l’ingénierie de formation en faveur des personnels de contrôle, certains personnels de la direction des systèmes d’information, et à compter de 2013, des agents non-magistrats du centre d’appui métier ; dans les CRTC : personnels de greffe et de la documentation.
Source : Cour des comptes – effectifs physiques présents au 31 décembre
A titre de comparaison, en Italie, la Cour, les cinq chambres déconcentrées et les trente et un bureaux qui composent l’institution supérieure de contrôle, totalisent 3 400 fonctionnaires, dont 900 vérificateurs.
Il est nécessaire, tant pour assurer le niveau de production actuel que pour répondre aux nouvelles missions qui leur sont confiées, que les moyens notamment humains des chambres régionales des comptes soient renforcés, et éventuellement affectés proportionnellement aux enjeux.
III. Évaluer les politiques publiques mises en œuvre au niveau local
L’évaluation des politiques publiques repose sur la comparaison de l’impact des actions publiques au regards des objectifs variés que se donnent les pouvoirs publics. Elle vise à éclairer le débat public sur les principaux arbitrages en jeu et ainsi faciliter les choix démocratiques. En cela, elle se différencie et complète les contrôles des juridictions financières qui examinent principalement la régularité, l’efficacité et l’efficience des dépenses d’une entité administrative, d’une collectivité ou d’un programme.
A. La mission d’évaluation de la Cour est une activité récente issue de la réforme constitutionnelle de 2008
L’évaluation est la plus récente des missions de la Cour. Elle a été introduite en 2011 dans le CJF par son article L. 111-3-1 : « la Cour des comptes contribue à l’évaluation des politiques publiques dans les conditions prévues par le présent code ». Cette nouvelle disposition découle de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui l’ajoute aux missions de la Cour dans le cadre de son assistance au Parlement et au Gouvernement.
L’évaluation d’une politique publique par la Cour des comptes a pour objet d’en apprécier les résultats et les impacts, ainsi que les raisons qui les expliquent. Cette ambition d’estimer la pertinence des politiques aux regards de leurs objectifs va au-delà des seuls aspects comptables et budgétaires d’un contrôle de la gestion. La publication systématique des évaluations participe à la mission que confère la Constitution à la Cour de « contribuer à l’information des citoyens ».
1. Les évaluations réalisées par la Cour
1.1 A la demande de l’Assemblée nationale
Selon l’article L. 132-5 du CJF, « la Cour des comptes peut être saisie d’une demande d’évaluation d’une politique publique par le président de l’Assemblée nationale ou le président du Sénat, (…) pour procéder à l’évaluation de politiques publiques dont le champ dépasse le domaine de compétence d’une seule commission permanente (…) ».
De septembre 2011 à novembre 2016, la Cour des comptes a répondu à douze demandes d’enquêtes ou d’évaluation de la part du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) de l’Assemblée nationale, dans des domaines variés tels la santé, l’action sociale, la culture, la création d’entreprises, la lutte contre la fraude, le développement durable.
1.2 A l’initiative de la Cour
Ces évaluations ne sont pas une nouveauté pour la Cour car depuis la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), l’appréciation des résultats des politiques publiques et l’analyse des causes de ces résultats occupent une place importante dans les contrôles et les enquêtes. Les normes professionnelles des juridictions financières les distinguent des missions de contrôle, notamment par les notions d’utilité et de pertinence.
De janvier 2012 à février 2017, la Cour a publié six évaluations de politiques publiques sur des sujets aussi variés que la politique d’aide aux biocarburants, l’assurance vie, les relations de l’administration fiscale avec les particuliers et les entreprises, la sécurité des navires, la lutte contre les consommations nocives d’alcool, le logement social.
2. Les activités d’évaluation auxquelles participent les chambres régionales et territoriales des comptes
2.1 La participation des CRTC aux évaluations et aux enquêtes de la Cour
A l’initiative de la Cour, ces enquêtes ou évaluations nationales associent plusieurs CRTC, en fonction de leur compétence, pour participer à la constitution d’un échantillon de territoires.
Ainsi, l’évaluation de la politique publique du logement social publiée en février 2017, a comporté l’examen de territoires témoins, choisis pour leur caractère très différencié à partir d’indicateurs. Elle a, de ce fait, impliqué la constitution d’une formation inter juridictions associant des chambres régionales des comptes aux chambres compétentes de la Cour (5e chambre chargée du logement et 1ère chambre chargée du crédit). La Cour s’est appuyée sur les chambres régionales compétentes pour mener l’étude de cas de cinq agglomérations et d’un département, et conduire des ateliers territoriaux réunissant les parties prenantes, opérateurs, bénéficiaires et responsables de l’action publique.
Le rapport public annuel 2017 présente trois enquêtes nationales associant des CRTC (le stationnement urbain, l’accueil des gens du voyage, les grands ports maritimes), sur un total de vingt-sept chapitres. A titre d’exemple, l’enquête nationale « le stationnement urbain : un chaînon manquant dans les politiques de mobilité » s’est appuyée sur les examens de gestion effectués par dix chambres régionales des comptes et a concerné quarante-cinq collectivités regroupant 8,8 millions d’habitants, soit plus du tiers de la population habitant dans les 781 communes ayant mis en place le stationnement urbain.
Le rapport public annuel 2015 a présenté quatre enquêtes nationales associant des CRTC (les trains inter cités, les transports publics urbains de voyageurs, les partenariats publics privés des collectivités territoriales, la gestion directe des services d’eau et d’assainissement), sur un total de trente chapitres.
Parmi la dizaine d’autres rapports thématiques publiés par la Cour de 2015 à 2017, seul le rapport sur le maintien à domicile des personnes âgées dépendantes en perte d’autonomie a associé des CRTC.
Tableau n° 2 : nombre d’enquêtes nationales auxquelles ont participé les CRC ou CTC, publiées par la Cour des comptes dans le rapport public annuel (RPA)
Nombre |
RPA 2015 |
RPA 2016 |
RPA 2017 |
Chapitres |
30 |
33 |
27 |
Enquêtes nationales avec participation CRC, CRTC |
Les trains inter cités
Les transports publics urbains de voyageurs
Les partenariats publics privés des collectivités territoriales
La gestion directe des services d’eau et d’assainissement |
Aucune |
Le stationnement urbain
L’accueil et l’accompagnement des gens du voyage
Le bilan de la réforme des grands ports maritimes |
% |
13% |
0% |
11% |
Source : Cour des comptes
Tableau n° 3 : autres rapports publics thématiques auxquels ont participé les CRC ou CRTC, publiés par la Cour des comptes
Nombre |
2015 |
2016 |
2017 |
Rapports |
3 |
6 |
0 |
Participation CRC ou CRTC |
0 |
Le maintien à domicile des personnes âgées dépendantes en perte d’autonomie |
0 |
% |
0% |
17% |
Sans objet |
Source : Cour des comptes
2.2 Les évaluations de politiques publiques locales des chambres régionales des comptes publiées dans le rapport public annuel de la Cour ou par référés
Les évaluations réalisées à l’initiative des chambres régionales des comptes et publiées dans le rapport public annuel (RPA) sont en nombre limité, soit entre deux et trois par RPA, de 2015 à 2017, sur une trentaine de chapitres. Ces évaluations locales s’adressent aux mêmes catégories de publics à l’échelle nationale : l’ensemble des citoyens, les principaux médias nationaux (presse, radio, télévision), le gouvernement, les élus nationaux, les opérateurs nationaux. En 2017, deux évaluations régionales ont été rendu publiques dans le RPA : le traitement des déchets ménagers en Ile-de-France, et les collectivités locales d’Auvergne-Rhône-Alpes et le spectacle vivant.
La Cour des comptes dispose d’un autre vecteur de communication des travaux des juridictions financières, le référé. Or chaque année, sur une moyenne de vingt-cinq référés adressés par la Cour des comptes au gouvernement, un seul concerne une politique publique locale, tel celui sur la politique régionale en matière d’espaces verts, de forêts et de promenades en Île-de-France, en 2016.
Tableau n° 4 : nombre d’enquêtes locales réalisées par les CRC ou CRTC, publiées par la Cour des comptes dans le rapport public annuel
Nombre |
RPA 2015 |
RPA 2016 |
RPA 2017 |
Chapitres |
30 |
33 |
27 |
Enquêtes locales |
L’avenir des stations de ski des Pyrénées
Les opérateurs publics locaux d’aménagement en Ile-de-France
Les centres de gestion de la fonction publique territoriale de Rhône-Alpes et du Puy-de-Dôme |
La filière de la pêche à Saint-Pierre-et-Miquelon
Les liaisons vers les principales îles du Ponant
Le système scolaire en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie |
Le traitement des déchets ménagers en Ile-de-France
Les collectivités locales d’Auvergne-Rhône Alpes et le spectacle vivant |
% |
10% |
9% |
7% |
Source : Cour des comptes
Tableau n° 5 : nombre de référés publiés par la Cour des comptes, de référés portant sur des enquêtes locales des CRC ou CRTC, répertoriés dans le rapport public annuel
Nombre |
RPA 2015 |
RPA 2016 |
RPA 2017 |
Référés |
25 |
24 |
26 |
Référés sur enquêtes locales |
La situation du territoire de Wallis-et-Futuna |
La gestion publique de la mutation industrielle du bassin de Lacq |
La politique régionale en matière d’espaces verts, de forêts et de promenades en Île-de-France |
% |
4% |
4% |
4% |
Source : Cour des comptes
B. Le développement de l’évaluation des politiques publiques locales
1.1 Un enjeu d’information des citoyens au niveau local sur les politiques menées sur leur territoire
L’article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen dispose que, « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». L’information des citoyens sur la qualité de la gestion publique, sa régularité, sa performance, constitue donc objectif constitutionnel général qui s’incarne dans les contrôles menés et leur communication publique. Cet objectif a encore été renforcé en étendant le champ de compétence des juridictions financières par la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé aux établissements sociaux et médico-sociaux privés, ainsi qu’aux établissements de santé privés.
Si l’évaluation des politiques publiques nationales par la Cour des comptes s’est développée relativement récemment, sa déclinaison aux politiques publiques locales par les chambres régionales des comptes demeure encore embryonnaire. A l’échelon local, l’information des citoyens sur l’action des administrations publiques locales reste à développer.
Malgré le développement de l’évaluation de politiques publiques nationales, les situations régionales diverses voire contrastées justifient l’essor de l’évaluation locale. La mise en œuvre de nombreuses politiques publiques nationales telles que le transport, le développement économique, les équipements culturels et sportifs, l’action sociale, relève à la fois de l’État et des collectivités locales, et se distinguent d’un territoire à l’autre en raison de leur grande diversité. Les réformes territoriales ont renforcé le pouvoir des collectivités locales dans la mise en œuvre de ces politiques et modifié l’articulation des actions des services de l’État et des services locaux.
Si l’évaluation au niveau national des politiques publiques est indispensable pour donner une vision d’ensemble aux acteurs de niveau national tels les élus nationaux, les administrations centrales, les établissements publiques nationaux, les médias nationaux, à l’’inverse, l’évaluation au niveau local des politiques publiques doit nécessairement prendre en compte, pour être pertinente, la spécificité et la diversité de leur conception et de leur mise en œuvre en fonction des territoires et de leurs particularités. Elle doit donner une vision régionale aux acteurs de niveau local, citoyens, élus locaux, administrations locales (État, collectivités, hôpitaux), établissements publics et médias locaux, car la plupart des politiques publiques sont territorialisées.
1.2 Les chambres régionales des comptes sont légitimes pour mener des missions d’évaluation des politiques publiques locales
La légitimité des chambres régionales des comptes à évaluer les politiques publiques locales est multiple :
- bien que juridictions indépendantes, les chambres forment avec la Cour un ensemble juridictionnel homogène et sont soumises aux mêmes normes professionnelles ;
- les chambres en tant que juridictions financières relèvent du même programme budgétaire que la Cour des comptes ;
- elles assistent déjà la Cour dans ses missions d’évaluation en participant aux enquêtes et évaluations nationales ;
- leur compétence de contrôle s’exerce d’une part sur les collectivités territoriales et les organismes liés, d’autre part sur des établissement publics nationaux par délégation ;
- elles sont un lieu d’expertise et de connaissance des collectivités territoriales, de leurs établissements, du contexte et des acteurs régionaux ;
- leur ressort territorial, suite au resserrement de leur réseau par les lois du 13 décembre 2011 et du 16 janvier 2015, correspond à celui des treize nouvelles régions.
Certaines chambres territoriales des comptes exercent déjà des compétences élargies.
Compte tenu du statut particulier de la Polynésie française, la chambre territoriale des comptes de la Polynésie française s’est vue attribuer des compétences spécifiques additionnelles. Au champ classique des collectivités territoriales s’ajoute en effet celui de la collectivité de Polynésie française. Ses compétences de contrôle incluent également les établissements publics et organismes de droit privé qui lui sont rattachés. La chambre est ainsi amenée à examiner des secteurs d’activité qui relèvent en métropole de la Cour des comptes elle-même, tels le transport aérien, les postes et télécommunications, le secteur bancaire ou l’audiovisuel. Plusieurs de ses travaux qui ont porté sur le système de santé, le tourisme, le système scolaire, ont donné lieu à des contributions aux rapports publics de la Cour des comptes. La récente loi de programmation sur l’égalité réelle outre-mer du 28 février 2017 a donné aux chambres régionales et territoriales des comptes une nouvelle mission portant sur l’examen de la mise en œuvre des stratégies de convergence élaborées par l’État et les collectivités concernées.
Il est donc proposé :
· d’inscrire la mission d’évaluation de mise en œuvre des politiques publiques au niveau local dans les compétences des CRTC ;
· de coordonner la programmation, le suivi et la publication des évaluations de politiques publiques au sein d’une chambre transversale de la Cour, à constituer, où siège, de droit, les présidents de chambre régionale et territoriale des comptes ;
· d’augmenter significativement le nombre de publications des juridictions financières (référés, rapport public annuel, rapports publics thématiques) traitant de l’évaluation d’une politique publique par les chambres régionales et territoriales des comptes.
IV. Garantir l’indépendance des magistrats financiers
- Une condition essentielle à l’exercice des missions des juridictions financières : l’indépendance des magistrats
- Une exigence partagée par les instances supérieures de contrôle européenne, avec des modes d’organisation variables
Au sein de l’Organisation internationale des institutions supérieures de contrôle des finances publiques (Intosai) cohabitent principalement deux modèles d’institutions supérieures de contrôle (ISC) : un modèle non juridictionnel, souvent rattaché au Parlement, en vigueur dans les pays anglo-saxons, et un modèle juridictionnel, indépendant des pouvoirs exécutif et législatif, dont la Cour des comptes française, créée en 1807, est emblématique. Dans les ISC juridictionnelles, des garanties légales d’indépendance et d’inamovibilité couvrent les membres qui assurent simultanément des fonctions juridictionnelles et d’audit. Ces ISC sont autonomes dans la détermination de leur programme de travail et la gestion de leurs moyens.
Dans ce modèle juridictionnel, les modes d’organisation varient d’un pays à l’autre. La collégialité est la règle, mais le statut individuel des personnels diffère. En Allemagne par exemple, les membres des juridictions financières au niveau fédéral comme dans les Länder ne sont pas des magistrats, mais des fonctionnaires de carrière ou des contractuels. La Constitution leur assure cependant la même protection juridique qu’aux juges des juridictions suprêmes fédérales : ils sont nommés à vie et leur indépendance est garantie[2].
- Les juridictions financières en France : une indépendance effective, qui peut toutefois encore progresser
En France, comme dans l’ordre judiciaire, les membres des juridictions financières sont des magistrats, nommés par décret du président de la République, et inamovibles[3].
Lors de leur prise de fonction, ils prêtent serment.
Les magistrats financiers ont fait le choix de ce métier parce qu’ils sont attachés aux valeurs d’indépendance, d’impartialité, de neutralité, et à la défense de l’intérêt général. Les obligations qui s’imposent aux magistrats telles que les rappelle la charte de déontologie, renforcées par la loi déontologie, droits et obligations des fonctionnaires d’avril 2016 qui prévoit désormais une déclaration d’intérêt, y compris ceux relatifs aux activités du conjoint, sont autant de garanties d’un exercice indépendant des fonctions de magistrat. La collégialité des délibérés conforte ces garanties en ce qu’elle protège le rapporteur de ses propres préjugés, par confrontation de son opinion à celle de ses pairs.
Comme pour l’ordre judiciaire, les instances chargées de veiller au respect des garanties apportées par le statut de magistrat sont :
- les Conseils supérieurs de la Cour et des chambres régionales des comptes ;
- la mission d’inspection.
Ces instances peuvent être encore améliorées dans leur fonctionnement, et se rapprocher de ce qui existe dans l’ordre judiciaire.
Le collège de déontologie, dont le rôle est d’éviter tout conflit d’intérêt et qui comprend deux magistrats, pourrait ainsi, sur le modèle du collège de déontologie des commissaires aux comptes, voir sa composition évoluer (de cinq membres dont seulement deux magistrats, à neuf magistrats dont un président nommé par le Premier président, deux magistrats de l’ordre administratif ou judiciaire, trois personnalités qualifiées, trois magistrats élus). Son rapport annuel pourrait être communiqué au Garde des sceaux. Parmi les indicateurs mentionnés dans ce rapport pourrait figurer le nombre de déports de magistrats dans le cadre d’instruction ou de délibérés.
Il est donc proposé :
- de modifier la composition du collège de déontologie des juridictions financières.
- Des garanties d’indépendance à renforcer
- Une composition et un fonctionnement des Conseils supérieurs à aligner sur le modèle du Conseil supérieur de la magistrature
Le code des juridictions financières, qui règle la composition et le fonctionnement des Conseils supérieurs des juridictions financières, organise une véritable tutelle de l’administration sur le corps des magistrats financiers. Elle n’est ni conforme aux recommandations du Conseil de l’Europe, selon lequel au moins la moitié des membres de ces conseils devraient être des magistrats choisis par leurs pairs, ni même adaptée aux compétences élargies aujourd’hui attribuées aux comités techniques et instances paritaires.
En prenant exemple sur le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature, le SJFu propose pour les conseils supérieurs des juridictions financières :
▪ de revoir leur composition en portant à neuf le nombre de sièges de magistrats de chambre et en organisant mieux la parité entre les représentants des magistrats et ceux de l’administration et les personnalités qualifiées ;
▪ de renforcer le rôle décisionnel et consultatif de ces instances (élargissement du champ des avis conformes, avis sur les sanctions disciplinaires de magistrats, exercice des compétences du comité technique) ;
▪ d’améliorer encore la transparence sur les processus de nominations et de promotions dont il est saisi (critères objectifs, audition des candidats, vote à bulletins secrets sur les candidatures).
▪ dans certains cas (touchant par exemple à l’organisation des JF), et dans l’esprit du décret n° 2015-932 du 29 juillet 2015, de prévoir la possibilité d’une réunion conjointe du Conseil supérieur de la Cour et de celui des CRTC.
Il est donc proposé :
- de modifier la composition et le fonctionnement du Conseil supérieur des CRTC.
- Un champ d’action des missions d’inspection à consolider
La Cour est dotée d’une mission permanente d’audit, de contrôle et d’inspection. Celle-ci est chargée d’assurer le contrôle des services, l’audit des chambres et formations délibérantes de la Cour et toute mission d’inspection que lui confie le Premier président. Elle comprend également une mission permanente d’inspection des chambres régionales des comptes, rôle confié par le législateur à la Cour des comptes en 1988, cinq ans après la création des CRTC.
Les méthodes de travail et les objectifs de ces deux structures sont très proches : apprécier l’activité, le fonctionnement et la performance des juridictions, des directions et services soumis à son contrôle ainsi que, dans le cadre d’une mission d’enquête, la manière de servir des personnels. Les responsables des missions d’inspection présentent toutes recommandations et observations utiles au Premier président.
Afin de tenir compte de la réalité des travaux des juridictions financières (qui ménage une part de plus en plus importante de missions communes entre la Cour et les CRC), le SJFu propose de créer, sur le modèle des inspections générales des ministères (par exemple celle du ministère de la Justice, créée en 2017), une mission d’inspection unique avec compétence sur l’ensemble des juridictions financières, et de la rattacher directement au Premier président.
Le chef de la mission d’inspection présenterait chaque année au Premier président puis devant les conseils supérieurs des juridictions financières un rapport sur l’ensemble de ses activités et sur l’état des juridictions, directions, et services soumis à son contrôle tel qu’il résulte des informations recueillies et des constatations effectuées au cours des missions réalisées.
Pour assurer l’impartialité des recommandations et garantir l’indépendance des magistrats, les membres de la mission d’inspection ou les inspecteurs placés sous ses ordres ne devraient disposer d’aucun pouvoir hiérarchique sur les responsables des juridictions, directions et services qu’ils contrôlent, ni intervenir dans les processus de sélection ou de nomination des personnels.
Il est donc proposé :
- de modifier la composition et le fonctionnement de la mission permanente d’audit, de contrôle et d’inspection de chambres, sur le modèle des inspections générales des ministères.
- Une gestion des ressources humaines à reconsidérer
L’indépendance doit être également assurée par une gestion plus professionnelle et transparente des règles de recrutement.
Les compétences et le niveau de recrutement attendus devraient être plus clairement définis et les candidatures soumises à l’avis des Conseils supérieurs.
La formation à l’entrée dans les fonctions de magistrat pourrait également être renforcée (par exemple sur 2 à 3 mois) pour tous les nouveaux magistrats afin de les sensibiliser aux enjeux déontologiques et professionnels, dans l’esprit de la formation dispensée à tous les nouveaux arrivants dans les juridictions administratives.
Par ailleurs, les juridictions financières accueillent de nombreux cadres d’autres corps. Il serait nécessaire de définir plus précisément les conditions de cet accueil, en particulier les règles qui président à l’intégration en fin de détachement. Compte tenu du fonctionnement des chambres, il serait également opportun de définir des proportions maximales de détachés à observer sur l’effectif d’ensemble du corps (20 % des effectifs du corps) mais aussi par chambre (40 % des effectifs du corps dans la chambre).
À défaut de garantie d’inamovibilité et dans la mesure où l’avis du président de la chambre est déterminant dans leur intégration, les magistrats détachés sont en effet confrontés à une incertitude qui nuit à l’exercice d’une pleine indépendance.
Il est donc proposé :
- de clarifier les modalités de recrutement des magistrats financiers et de renforcer la formation initiale à la prise de fonction ;
- d’instaurer un cadre transparent pour le recours à des rapporteurs en détachement entrant, avec un plafond d’emploi par chambre, et une procédure national de recrutement les concernant.
Synthèse
Afin d’améliorer l’efficience de politiques publiques, tout en contribuant à moraliser l’action administrative et politique, le rôle des juridictions financières doit être accru, et leur fonctionnement optimisé. Cette exigence s’inscrit dans le profond mouvement de rénovation de l’action publique depuis quinze ans, dans le sens d’une plus grande transparence, lisibilité et décentralisation de cette action (LOLF, Acte 2, Acte 3, grandes lois de moralisation, etc.)
Ce livre blanc a été rédigé par le Syndicat des juridictions financières unifié (SJFu) afin d’éclairer le débat concernant d’éventuelles décisions à prendre en la matière.
En premier lieu, les juridictions financières devront mieux assurer leur mission d’évaluation, de contrôle de la régularité et de la probité afin de contribuer pleinement à la moralisation de la vie politique et administrative par un véritable régime de responsabilité des gestionnaires publics.
En effet, le régime actuel de responsabilité des ordonnateurs et des comptables, que ce soit devant la Cour des discipline et budgétaire et financière ou devant le juge des comptes, est aujourd’hui peu efficace et inadapté, notamment au regard de l’effacement progressif de la séparation des ordonnateurs et des comptables, et des nouveaux enjeux des finances publiques, notamment l’équilibre des comptes et la certification. Aussi, il est proposé de remplacer ce double régime de responsabilité par un régime unique de responsabilité, confié à la Cour des comptes et aux chambre régionales de comptes, dont seraient justiciables tous les gestionnaires publics, y compris les membres du gouvernement et les ordonnateurs locaux, destiné à sanctionner les manquements aux règles d’exécution des dépenses et des recettes publiques.
En particulier, le contrôle de la gestion se traduit aujourd’hui par des observations et des recommandations, qui par leur intitulé même, traduisent leur caractère peu contraignant. Il conviendrait de doter les juridiction financière d’un pouvoir d’injonction, lorsque des illégalités manifestes sont relevées. En cas d’inobservation de ces injonctions, le juge financier pourrait prononcer des sanctions vis-à-vis des gestionnaires locaux.
En deuxième lieu, la mission des juridictions financière de participer à la l’amélioration de la performance publique ne devrait plus être freinée par le morcellement des contrôles des chambres régionales des comptes, et par l’absence de rôle explicite de celles-ci dans la mission d’évaluation, aujourd’hui du seul ressort de la Cour des comptes.
En effet, le contrôle de la gestion que réalisent actuellement les chambres régionales de comptes sur le secteur public local est aujourd’hui trop morcelé. Aussi, il est proposé de créer la possibilité d’un contrôle unique portant à la fois sur un EPCI et ses communes membres, et d’instaurer un mode de contrôle impliquant les partenaires publics de la collectivité concernée par une politique publique, en partageant les compétences sur les services déconcentrés de l’État et des opérateurs publics nationaux entre la Cour des comptes et les CRTC. Il serait également souhaitable d’introduire la possibilité de publication de rapports publics locaux régionaux.
La mission d’évaluation de politiques publiques est essentiellement exercée sous l’égide de la Cour des comptes, qui l’exerce, de fait, avec le concours des CRTC. Il conviendrait de confier une compétence identique aux CRTC et de leur donner les moyens adéquats.
En troisième lieu, les missions évoquées ci-dessus seraient mieux assurées si l’indépendance des magistrats financiers était encore renforcée. À l’image de ce qui se pratique dans les juridictions judiciaires, le Conseil supérieur des chambres régionales des comptes devrait être organisé de matière paritaire, et doté d’un pouvoir d’avis conforme. Il devrait aussi pouvoir être réuni avec le Conseil supérieur de la Cour des comptes, lorsque les sujets abordés le requièrent. La mission d’inspection des CRTC devrait être commune à toutes les JF et rattachée directement au Premier président de la Cour des comptes. Le Collège de déontologie devrait également voir ses prérogatives renforcées.
[1] Rapport sur la situation financière et la gestion des collectivités territoriales et de leurs établissements publics – Octobre 2016
[2] Le contrôle supérieur des finances publiques en Allemagne : la Bundesrechnungshof, Daniele Lamarque, Revue des finances publiques, septembre 2008.
[3] Le droit à l’inamovibilité de chaque magistrat est inscrit dans le code des juridictions financières (articles L. 120-1 et L. 220-1). Le magistrat ne peut recevoir, sans son consentement, une affectation nouvelle, même en avancement.