Questions juridiques et syndicales soulevées par le télétravail

Les points suivants relatifs à la mise en oeuvre du télétravail au sein des juridictions financières nécessitent un examen attentif:

– Les magistrats de CRC semblent, a priori, concernés par le dispositif ;
– Un arrêté du Premier président devrait prévoir les modalités d’application du télétravail dans les juridictions financières ;
– Une exclusion des magistrats financiers du dispositif serait envisageable, en soutenant que notre activité s’apparente davantage à du travail nomade, les rapporteurs effectuant une partie de leur diligences chez le contrôlé ainsi qu’un certain nombre de déplacements à la Cour des comptes lors de travaux communs ou dans d’autres administrations (préfectures, ministères, ARS…). La détermination d’un double lieu de travail (le domicile et le bureau) n’ayant donc pas vraiment de sens.
– La mise en oeuvre du dispositif pourrait, en accordant un rôle décisif aux présidents de chambre, créer une différence de traitement non seulement entre magistrats de chambres différentes mais aussi entre magistrats d’une même chambre.

Le décret  n° 2016-151 du 11 février 2016 relatif aux conditions et modalités de mise en oeuvre du télétravail dans la fonction publique et la magistrature précise les conditions de mise en oeuvre du télétravail prévu par l’article 133 de la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 :
« Les fonctionnaires (…) peuvent exercer leurs fonctions dans le cadre du télétravail tel qu’il est défini au premier alinéa de l’article L. 1222-9 du code du travail. L’exercice des fonctions en télétravail est accordé à la demande du fonctionnaire et après accord du chef de service. Il peut y être mis fin à tout moment, sous réserve d’un délai de prévenance. Les fonctionnaires télétravailleurs bénéficient des droits prévus par la législation et la réglementation applicables aux agents exerçant leurs fonctions dans les locaux de leur employeur public. Le présent article est applicable aux agents publics non fonctionnaires et aux magistrats ».
Selon l’article L. 1229-9 précité, « Le télétravail désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon régulière et volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication dans le cadre d’un contrat de travail ou d’un avenant à celui-ci ».
Le préambule du décret exclut de son champ d’application les autres formes d’organisation du travail que sont par exemple le travail nomade et le travail en réseau. Les magistrats financiers ne semblent pas pouvoir être assimilés à des travailleurs nomades puisque ceux-ci n’exercent pas l’essentiel de leurs missions hors de leur lieu habituel de travail, contrairement aux commerciaux et aux agents
techniques d’information par exemple (Pierre Morel-A-l’Huisser, Du télétravail au travail mobile – Un enjeu de modernisation de l’économie française, rapport au Premier ministre, 2006).

La quotité des fonctions pouvant être exercées sous la forme du télétravail est fixée à trois jours par semaine maximum. Le temps de présence sur le lieu d’affectation ne peut être inférieur à deux jours par semaine. Les seuils définis au premier alinéa peuvent s’apprécier sur une base mensuelle (article 3 du décret).
1. LES MAGISTRATS DE CHAMBRE REGIONALE DES COMPTES SONT A PRIORI CONCERNES PAR CE DISPOSITIF…
Article 1er du décret : « Les dispositions du présent décret s’appliquent aux fonctionnaires et aux agents publics non fonctionnaires régis par la loi du 13 juillet 1983 susvisée et aux magistrats de l’ordre judiciaire régis par l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée ».

Les magistrats de chambre régionale des comptes, contrairement aux magistrats de l’ordre judiciaire dont le statut est régi par l’ordonnance du 22 décembre 1958, sont soumis au statut de la fonction publique puisqu’aux termes de l’article L. 220-1 du code des juridictions financières : « Sous réserve des dispositions du présent code, le statut général des fonctionnaires et les décrets en Conseil d’Etat pris pour son application s’appliquent aux membres du corps des chambres régionales des comptes dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat ».
2. …SOUS RESERVE DE CE QUE PREVOIRA L’ARRETE DU PP PRIS EN APPLICATION DU DECRET…

L’article 7 du décret prévoit qu’un arrêté ministériel pour la fonction publique d’Etat, pris après avis du comité technique ou du comité consultatif compétent (le conseil supérieur ?), fixe les activités éligibles au télétravail (…) ainsi que les modalités de contrôle et de comptabilisation du temps de travail.

Cette disposition est essentielle car l’application du dispositif de télétravail est donc suspendue à l’adoption d’un arrêté particulier qui pourrait retenir, ou ne pas retenir, ce dispositif pour les magistrats de chambre régionale, les magistrats de la Cour, les vérificateurs et les personnels administratifs.
3. …ET DES DECISIONS DES AUTORITES HIERARCHIQUES

Article 5 du décret : l’exercice des fonctions en télétravail est accordé sur demande écrite de l’agent. Celle-ci précise les modalités d’organisation souhaitées, notamment les jours de semaine travaillés sous cette forme ainsi que le ou les lieux d’exercices. Le chef de service, territoriale ou l’autorité investie du pouvoir de nomination apprécie la compatibilité de la demande avec la nature des activités exercées, l’intérêt du service lieux d’exercice (…).La durée de l’autorisation est d’un an maximum (…) Le refus opposé à une demande initiale ou de renouvellement de télétravail formulée par un agent exerçant des activités éligibles fixées par l’un des actes mentionnés à l’article 7 ainsi que l’interruption du télétravail à l’initiative de l’administration doivent être précédés d’un entretien et motivés.
Article 7 du décret : l’accord du chef de service à la demande de télétravail est formalisé soit par un arrêté individuel, soit par un avenant au contrat de travail. L’arrêté ou l’avenant mentionne les activités de l’agent exercées dans le cadre du télétravail, le lieu ou les lieux d’exercice du télétravail (…).

L’article 10 prévoit cependant que la commission administrative paritaire ou la commission consultative paritaire compétentes peuvent être saisies, par l’agent intéressé, du refus opposé à une demande initiale ou de renouvellement de télétravail formulée par celui-ci pour l’exercice du télétravail.
4. LES POINTS SUIVANT DEVRAIENT FAIRE L’OBJET D’UNE ATTENTION PARTICULIERE DU SYNDICAT
1) Les magistrats de CRC seront-ils concernés par le dispositif ?

Comme dans la juridiction administrative, une pratique de travail à domicile est aujourd’hui acceptée et tolérée dans un certain nombre de chambres régionales des comptes. Cette tolérance est la contrepartie de l’autonomie et de l’indépendance du magistrat dans l’exercice de ses fonctions. Elle s’explique aussi par le fait que le magistrat est évalué sur la base de ses rapports et n’est donc pas soumis à une obligation de moyen mais à une obligation de résultat.

L’institutionnalisation de cette pratique par l’application du décret relatif au télétravail permettrait à l’ensemble des collègues de bénéficier d’un aménagement de leur condition de travail qui dépend aujourd’hui en partie de la tolérance des présidents de chambres.

Pour autant, cela aurait le désavantage de formaliser une pratique qui se caractérise aujourd’hui par une certaine souplesse : l’agent désirant bénéficier du télétravail devra en faire la demande écrite à son autorité hiérarchique (le président de chambre ?) pour un nombre de jours déterminés à l’avance et fixe (ex : lundi et mercredi). Ainsi, les agents ne travaillant pas habituellement à leur domicile et qui n’auraient pas demandé à bénéficier de ce dispositif ne pourraient plus décider de travailler en télétravail exceptionnellement.

La solution à cette difficulté pourrait donc se traduire par une exclusion du dispositif, en soutenant que l’activité des magistrats de chambre régionale des comptes, comme celle des magistrats de la Cour, s’apparente davantage à du travail nomade, les rapporteurs effectuant une partie de leur diligences chez le contrôlé ainsi qu’un certain nombre de déplacements à la Cour des comptes lors de travaux communs ou dans d’autres administrations (préfectures, ministères, ARS…). La détermination d’un double lieu de travail (le domicile et le bureau) n’ayant donc pas vraiment de sens.
2) La négociation devrait s’attacher à une application uniforme du dispositif à la Cour des comptes et dans les chambres régionales des comptes

Les fonctions et missions des magistrats de la Cour et des chambres régionales des comptes offrant la même possibilité pratique d’exercer une partie de son activité à son domicile, rien ne justifierait la mise en oeuvre d’un dispositif différencié.
3) Le pouvoir des présidents de chambre

Aux termes des articles 5 et 7 du décret, la mise en oeuvre du dispositif, pour chaque agent, est conditionné à l’accord du chef de service ou de l’autorité investie du pouvoir de nomination. Cela pourrait donc conférer au président de chambre un pouvoir discrétionnaire en ce domaine bien que son potentiel refus dût être présenté lors d’un entretien et motivé. Le risque de différence de traitement des magistrats en fonction de leur affectation, qui est actuellement constatée dans les chambres régionales des comptes, n’est donc pas éloigné. Surtout, à la différence de traitement des agents en fonction de leur chambre d’affectation pourrait s’ajouter une différence de traitement à l’intérieur de chaque chambre, le refus opposé à l’agent pouvant être utilisé comme un outil de management ou de sanction.
4) La situation des vérificateurs

La situation des vérificateurs quant à l’ouverture du télétravail dans les juridictions financières n’est pas totalement étrangère à celle des magistrats. Notamment, il conviendra, en cas d’application du dispositif dans les JF, de déterminer si le droit donné à chaque vérificateur d’effectuer une, deux ou trois journées de travail à domicile sera accordé par les présidents de chambre ou bien par les magistrats. Si cette faculté est accordée, une réflexion parallèle devrait probablement avoir lieu sur le régime horaire des vérificateurs.
5) Le contrôle de l’agent télétravaillant

Le contrôle de l’agent en télétravail n’est pas vraiment envisagé par le décret sauf pour ce qu’il s’agit du contrôle du temps de travail. L’article 7 du décret dispose en effet que les modalités de contrôle et de comptabilisation du temps de travail seront prévues par arrêté (ministériel). Dans les entreprises où il a été mis en place, celui-ci est assuré par différents moyens :
– par un système déclaratif ;
– par un contrôle à distance à l’aide de moyens techniques : contrôles par téléphone ; comptabilisation des flux de données échangés lors de la connexion avec le réseau de l’entreprise, contrôle à l’aide d’un logiciel sur l’ordinateur le temps pendant lequel l’ordinateur a fonctionné sans être connecté au réseau de l’entreprise…
Dans l’expérimentation qui avait été entreprise au sein de l’administration centrale des ministères économiques et financiers par l’adoption de la convention cadre du 7 décembre 2010, le contrôle de l’activité de l’agent en télétravail n’était pas formellement envisagée. La convention cadre exigeait simplement que l’agent soit joignable durant les plages fixes (ou étendues) de son activité.

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